Dans son livre Le train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu, Boualem Sansal nous invitait à méditer sur les fragilités de la conscience humaine lorsque le danger frappe à la porte : « Nier des crimes pour protéger une famille, un pays, une nation, une religion, un prophète, un dieu et vivre l’air de rien est un autre crime impardonnable, l’examen de conscience est une obligation pour tous. »
Avec Vivre, le romancier va plus loin en mettant l’humanité aux portes de son extinction… et de ses responsabilités. Après avoir bien profité des largesses de la planète terre en épuisant sans vergogne ses ressources, l’homme ne court-il pas tout simplement à sa perte ? La surpopulation, le changement climatique, la disparition des espèces animales ne sont-ils pas le signe d’une fin annoncée ? Non pas celle de la terre dotée d’un fort potentiel de résilience, mais bien celle de l’homme et du monde animal. La fin d’un cycle en quelque sorte avant une période de régénération et le début peut-être d’autre chose.
Mais avant d’arriver à la coupure finale, Boualem Sansal nous permet de voir le comportement de l’homme à l’approche de la fin. Ce que l’on peut déjà écrire, c’est qu’une fois de plus, ce dernier révèle ce qu’il a de plus triste et d’irrécupérable…
Quelques humains, dont Paolo, ont été choisis par une Entité pour préparer le sauvetage d’une partie de l’humanité. La fin approche. Paolo et ses frères d’arme doivent profiter du temps qu’il reste pour sélectionner les hommes qui seront transportés grâce à un vaisseau sur une nouvelle planète plus accueillante. L’humanité pourra ainsi continuer de poursuivre son chemin. Pour les Appelés, réunis grâce au signal J-780, la délicate mission de choisir ceux qui méritent d’être sauvés commence.
Le compte à rebours a démarré et le temps presse. Mais avant de se faire entendre, Paolo et ses amis se demandent comment choisir ceux qui pourront partir. Comment écarter tous ceux qui empoisonnent le bon fonctionnement des sociétés ? Il est évident que les plus nocifs tenteront de forcer le passage - en piétinant les choisis - pour monter à bord du vaisseau spatial.
Alors, pourquoi ne pas interroger les savants et autres religieux et philosophes ? C’est ce que font les Appelés, sans vraiment obtenir de réponses à leurs questions. Avec la complexité qui anime l’homme, les critères deviennent de plus en plus compliqués pour sélectionner l’élite de la race humaine, la crème de la crème. Devant cet imbroglio de devoir choisir, les Appelés se trouvent soudainement démunis mais ils ne lâchent rien pour mener à bien leur mission : sauver ce qu’il restera de l’humanité.
Dans cet excellent roman, Boualen Sansal glisse mine de rien un beau portrait de l’homme : « Que c’est humiliant de n’être que des hommes, courts sur pattes et bas de front, bedonnants et avachis, à qui la vie sédentaire et la mécanisation de la pensée ont enlevé ce qui était leurs forces suprêmes, l’instinct et l’agilité, pour les embarrasser avec ces choses pesantes et incertaines, l’intelligence et la raison, qui ne sont que des bredouillis et vagues considérations sur ce que nous ne savons pas, ne comprenons pas, ce qui nous dépasse, les mystères du futur, ceux qui du passé, ce gouffre qui avale tout, ce qui fut depuis la nuit des temps et ce qui viendra du plus lointain futur, et ceux de leur incompréhensible jonction dans le siphon du présent. C’est à hurler de rage de se voir si petits, si nuls. » Tout est dit !
Pascal Hébert
Vivre (Le compte à rebours), de Boualem Sansal, éditions Gallimard, 234 pages.
Photographie Francesca Mantovani.