La tempête qui vient de ravager le centre des Etats-Unis devrait alerter : elle a mis à bas, entre autres, de gigantesques entrepôts d’« Amazon » dans l’Illinois. En Eure-et-Loir, on apprend qu’un échangeur d’autoroute A11 Paris/Nantes va déboucher sur 50 hectares tout compris d’installations et de réseau routier pour les besoins de l’acheminement de produits commandés sur internet. Marcel Proust serait étonné : on est en effet à Illiers-Combray.

A bas bruit

Tout est déjà bouclé : permis de construire accordé par la communauté de communes (le mirage des emplois). L’enquête publique de janvier 2021 a rendu un avis favorable, alors que peu de monde y a participé. Si : un observateur attentif a émis des objections sur les norias de camions. Explication : les 27 hectares promis à la construction de bâtiments vont être remblayés sur un mètre d’épaisseur, (afin d’éviter aux aménageurs les retards et les frais dus à des fouilles archéologiques préventives !), ce qui représente 338 000 tonnes de terre, soit 13 500 camions de 20 mètres cube chacun. Les routes qui desservent ce pèlerinage un peu particulier sont défoncées ; qu’importe : l’argent public, oui, vos impôts, serviront à les réparer.

Résultat : prévision d’une circulation quotidienne de 650 poids lourds pour desservir le site.

Peut-on encore faire quelque chose ?

C’est la question qui vient immédiatement à l’esprit. Que veulent au juste les élus pour leurs concitoyens, eux qui décident, au profit d’investisseurs qui ne connaissent même pas le territoire, l’artificialisation de terres cultivables et des emplois réputés éphémères, très mal payés et bien peu respectueux des normes sociales. Que veulent-ils ? Des jobs jetables ? La famine assurée dans quelques décennies, quand l’eau sera vraiment tarie et que l’énergie devenue rare aura mis fin aux acheminements (ironie du sort !) ? Plus près de notre époque, on peut considérer que ces mêmes élus vont porter atteinte à la poule aux œufs d’or littéraire : les 14 à 17 mètres de haut de ces entrepôts vont défigurer les abords de cette petite ville marquée par les souvenirs littéraires, et même le mythe du monde proustien. Quand bien même ne retiendrait-on que l’aspect touristique, indépendamment du patrimoine artistique, c’est du gâchis et une honte ! Les enquêtes publiques, avec leurs petites affiches jaunes, mal connues du grand public, peu consultées, sont de simples alibis. On peut ainsi considérer que l’ensemble des citoyens, pris par surprise, est en droit d’exiger que soient mis à plat les tenants et aboutissants de cette entreprise, par les élus eux-mêmes. Ailleurs, un peu partout, des collectifs ont arrêté des travaux déjà engagés. Il est encore temps, forcément.

Les GAFAM partout honnis se fichent de la Beauce comme de La Recherche du temps perdu. Souvenons-nous que le maire de Chartres lui-même s’était opposé à une plateforme voici quelques années -pour de mauvaises raisons, mais c’était un refus. C’est une leçon à retenir aussi dans le cadre du projet d’autoroute A154 : celle-ci draînera inévitablement de nouvelles invasions de ce type. En attendant, qu’est-ce qu’on fait pour que la perspective sur la petite église de Combray demeure intacte ?

Chantal Vinet, présidente de Chartres Écologie

(*) Personnage de Du Côté de chez Swann, premier livre de La Recherche : grand-tante du narrateur, elle est la propriétaire de la maison aujourd’hui devenue musée, au centre de la ville, et qui attire chaque année curieux et admirateurs de l’oeuvre de Marcel Proust venus du monde entier.