Yves Simon prépare une autobiographie attendue. Mais avant d’entrer dans les lignes de toute une vie, le romancier nous a laissé les premières clés de son existence. Celle de sa jeunesse et de ses relations avec son père cheminot. Un homme ordinaire est un petit livre écrit en 2011 et réédité sans aucun doute pour accompagner le retour d’Yves avec sa bande de Générations éperdues (CD et Livre en 2017).
Mais Un homme ordinaire est un livre majeur, pour mieux comprendre l’itinéraire d’un jeune garçon ayant toujours voulu se démarquer de la condition sociale d’un père vivant sans ambition, subissant sa condition d’ouvrier de la SNCF après guerre. Le chemin entre Yves et André Simon n’est pas simple et aura été très court. Il n’aura duré que vingt ans. Vingt années à s’observer, à peu se parler et à s’aimer chacun à sa manière. Yves, qui est assez pudique, met toute son âme dans ce texte. Il n’enjolive pas le père, bien au contraire. Il tente d’en dresser un portrait sans concession en s’interrogeant : « C’est quoi un père ? Un homme avec qui l’ont vit depuis le jour de sa naissance et avec lequel on grandit, on imagine, on rêve ? Pourquoi l’aime-t-on, alors que les années passant, on s’aperçoit des fossés qui se creusent, des destins qui digressent, des valeurs que tout oppose ? » S’il parle d’un homme avec ses qualités et ses défauts et qui n’a jamais voyagé au-delà de trois départements, Yves évoque également l’enfant qu’il était, l’adolescent presque honteux de ce père avec lequel il ne partageait que très peu de rêves. Mais la jeunesse toujours prête à bondir vers un avenir où tout est possible, s’est heurtée à un homme fatigué, englué dans une existence sans avenir. Le lot de beaucoup de héros ayant traversé tant bien que mal la guerre, les restrictions et finalement devenu aquoiboniste.
Déjà curieux du monde qui se présente à lui, Yves semble éloigné de son père aimant pourtant bien Bob Dylan. Mais il y a cette présence, des intentions qui valent plus que des mots. Yves a peu parlé de son père si ce n’est dans deux chansons Sur les bords de la Moselle ou Père mon père. Dans cette belle lettre à son père, Yves ne cache pas ses sentiments d’alors mêlés à un mea culpa émouvant : « A cet instant où j’écris, face aux cinquante arbres de la place Dauphine, j’avoue que j’ai honte. Honte d’avoir parfois eu honte de toi devant mes camarades de classe qui prenaient le même autorail que nous. Tu portais ton misérable uniforme de cheminot que j’aurais voulu voir gommé à mes yeux. Alors, comme si tu n’existais pas, je m’éloignais de toi ne te regardant pas. Comment savoir si tu en as souffert ? Toi aussi tu retrouvais tes compagnons de travail et tu semblais, ou faisais semblant, de ne pas t’apercevoir d’une telle situation. Ton fils faisait l’important et jamais tu ne m’en fis le reproche. C’est de cet amour-là dont je veux rendre compte aujourd’hui. Comme pour réparer une désinvolture adolescente dont je me sens responsable, j’écris des mots qui ne te parviendront pas, je les écris alors au ciel, à la terre, à ces atomes d’oxygène que nous avons partagés et qui errent dans ce monde où je vis et où tu n’es plus. »
Quelques mois après la mort d’André Simon, Yves écrivait dans une chanson : « Père, mon père, je t’aimais tant. Père, mon père moi je t’attends. »
Pascal Hébert
Un homme ordinaire, d’Yves Simon, éditions Nil, 83 pages, 8 €.