"C'était un projet artistique dingue, démesuré, improbable. Un pari fou et sans suite." Telle fut la conclusion, rapportée dans l'Écho Républicain du 4 juin, de Laurent Chollet, organisateur du festival du cinéma muet, qui s'est tenu à Chartres du 30 mai au 4 juin 2023. Projet balayé d'un revers de main... Mais tout semble avoir été fait pour que l'échec fût certain. Etait-ce de la présomption ? De l'inconscience ?

On peut raconter ce fiasco avec ironie, amertume, colère ou encore une vraie déception.

Le silence est d'or (René Clair, 1947) mais pas forcément après le film !

Mardi matin, je chausse mes souliers de festivalière avec pas mal d'enthousiasme. Je me suis fait mon programme personnel avec des hésitations tant les propositions étaient nombreuses. Première projection : la salle est vide. Bon, c'est un matin, un mardi. Je ne perds pas confiance. Je serai à l'heure à mon prochain rendez-vous pour être sûre d'avoir une place. Deuxième projection : un documentaire cette fois, personne. Bon, c'est un mardi après-midi et... et quoi ? Je mise sur la projection place Châtelet du Kid de Chaplin. Le film va attirer des spectateurs, le plein air est agréable en ce début de soirée.  La séance est annulée. Personne ne semble au courant. Dernier espoir : 22 heures, une pépite en "deuxième mondiale" (!) d'un film perdu et retrouvé d'Orson Welles. On ne peut pas manquer cette occasion. Une dizaine de personnes dans la grande salle 1 du cinéma chartrain. Je reviendrai sur le cas du film...

Je ne vais pas poursuivre le récit des journées suivantes car les expériences se sont répétées. J'ai continué mon festival, avec beaucoup d'intérêt pour des interventions de qualité, de plaisir à découvrir des films, à revoir ceux que je n'avais jamais vus sur grand écran et à assister à des ciné-concerts superbes. Mais quel malaise de s'asseoir dans une salle quasi-vide, de ne pouvoir échanger avec personne... Peut-être le prix du billet d'entrée  de ces évènements à trente euros était-il dissuasif ?

Chronique d'une mort annoncée (Francesco Rosi, 1987)

Peut-on se contenter de dire que c'était un projet improbable ? Pourquoi attendre la fin du festival pour se rendre compte qu'il était démesuré ? Six jours, environ vingt-cinq projections par jour, entre cinq et six conférences ou tables rondes par jour... Jean Vilar à Avignon a commencé avec trois pièces de théâtre ; le festival d'histoire de l'art de Fontainebleau s'étend sur trois jours dont un week-end, Angoulême a commencé sur trois jours avec auparavant des contacts avec les librairies de la ville. Tout Paris devait-il venir à Chartres pour ce festival ? A-t-on contacté les associations locales qui irriguent depuis longtemps la cinéphilie des environs ? A-t-on contacté les établissements scolaires en temps et en heure ? Le créneau du cinéma muet n'est pas le plus facile d'accès et une préparation aurait pu amener de jeunes spectateurs avec un grand profit pour eux. Pourquoi une publicité si évasive, des informations si tardives ?

Pourquoi tant d'hommages, en tous sens ? Un petit peu d'Ukraine, de Jean Vigo, de Pathé-Seydoux, d'Italie, de Musidora et j'en passe. Le festivalier était égaré, se demandant où était le fil directeur de ce "premier" festival, et frustré  devant cet entassement de propositions.

Pourquoi avoir annulé les projections de plein air ? Elles auraient été l'occasion d'ouvrir à un public pas forcément attiré d'emblée par Murnau ou Vertov. Je ne voudrais pas entendre dire que les Chartrains ne sont pas sensibles au cinéma, que cette culture leur est étrangère. Francis Lacassin, à qui le festival a rendu un hommage, a travaillé à défendre tous les types de cinéma et tous les publics en montrant aussi leur perméablité.

Au bout du conte (Agnès Jaoui, 2013)

Un festival ne devrait-il pas être source de plaisir ? A qui ce festival a-t-il fait plaisir ? A quelques spectateurs (si on fait l'addition de toutes les entrées de la semaine, peut-être arrive-t-on à remplir la grande salle des Enfants du Paradis) ; sans doute pas aux intervenants, passeurs sans public, surpris parfois de l'absence de vie nocturne à Chartres ; pas aux "hôtes d'accueil" de ce festival, dépités de devoir annoncer de potentielles ou de réelles annulations,  amers de guider deux ou trois personnes vers des salles vides.

A qui alors ? S'offrir un festival qui ressemble à un jouet très cher, très élaboré, que l'on casse dès qu'on a joué une fois... Oui, ça peut faire plaisir. S'offrir... Se faire offrir...

L'arnaque (George Roy Hill, 1973)

J'avais dit que j'y reviendrais. La pépite d'Orson Welles : Too much Johnson. Le film est présenté comme le premier long métrage de  Welles -  le film dure soixante-six  minutes -, la rectification de l'erreur commise par tous ceux qui pensent que c'est Citizen Kane, une perle introuvable sur le net.

A la projection, on assiste à une succession de séquences parfois visuellement très belles, avec des cadrages vertigineux, mais dont l'enchaînement et les multiples répétitions  déroutent. Est-ce un essai surréaliste ? Orson Welles n'est pas connu pour ses liens avec le surréalisme...

Après recherches, il apparaît que ce "film", visible tel quel sur une plateforme en ligne, a été tourné pour illustrer une pièce de théâtre dans laquelle jouait Welles et qui n' a eu aucun succès. Welles a abandonné les tournages, n'a pas monté les rushes...

Brigitte Cotin