De mémoire de "vieux" Chartrain, il faut remonter au rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) du Centre du 6 septembre 1996 pour trouver une critique aussi négative de la gestion des élus chartrains. Pour mémoire toujours, c'est sur la base de ce rapport de 1996 qu'un certain Jean-Pierre Gorges s'était lancé à la conquête de la municipalité, en arguant que Georges Lemoine, le maire socialiste de l'époque, avait hyperendetté la ville, la plongeant ainsi dans la catastrophe financière.
Mais Gorges peut-il lâcher Franck Masselus, le grand argentier de Chartres et de son agglomération ? La synthèse du rapport de la CRC sur la SPL Chartres Aménagement rendu public le 19 mai 2022, ci-dessous, est pourtant accablante...
"Créée le 7 septembre 2009, la société publique locale (SPL) Chartres Aménagement réalise des opérations d’aménagement, des constructions et des études liées à ces opérations. Les 21 concessions d’aménagement dont elle assure l’exécution présentent une durée moyenne de 13 ans. Elles ont commencé entre 2009 et 2011 pour les plus importantes d’entre elles. Le contrôle couvre une période où la société entre dans une phase avancée de son exploitation : au 31 décembre 2019, les opérations concédées ont atteint 60 % de leur durée contractuelle en moyenne.
Le capital social de la SPL, d’un montant inchangé de 5,85M€ sur la période, est détenu à hauteur de 53,7 % par la ville de Chartres, de 46 % par Chartres Métropole et de 0,3 % par seize communes membres de cette communauté d’agglomération. Au 31 décembre 2019, la société emploie 32 salariés et enregistre un chiffre d’affaires de 26,8M€. Son actif avoisine 170M€, dont 154M€ au titre des stocks de biens en cours d’aménagement. Le recours à une SPL en matière d’aménagement urbain et foncier présente un double avantage. Cet outil d’intervention spécialisé peut à la fois tirer parti de la liberté conférée par le droit privé et garantir à ses actionnaires publics la maîtrise du programme des opérations, au regard de leurs objectifs de développement économique ou d’équilibre du logement. Il permet également de bénéficier du régime des prestations intégrées. Par son actionnariat intégralement public, et sous réserve de respecter des garanties de transparence, cette entité s’assimile aux services propres des personnes publiques qui l’ont constituée pour l’application des règles de la commande publique. Des opérations peuvent ainsi lui être confiées en dérogeant aux règles de publicité et de mise en concurrence.
Ce choix de gestion exige cependant une organisation équilibrée et des contrôles effectifs. Le manque de transparence au sein de la société ne permet pas de sécuriser son cadre d’intervention. Le contrôle exercé par les organes statutaires demeure largement formel. L’information donnée aux actionnaires sur la gestion des concessions, leur situation de trésorerie et l’avancement des programmes fonciers ne permet pas d’apprécier en totalité les risques encourus. Le cumul de mandats sociaux et de fonctions électives implique un effort de transparence accru ainsi que des règles claires de déport et de suppléance. La direction de la société rend insuffisamment compte de son action au conseil d’administration ainsi qu’aux actionnaires minoritaires qui ne sont pas à même d’exercer une influence décisive sur les principales orientations de l’entreprise.
Cette organisation défaillante contribue à fragiliser l’activité et le modèle d’affaires de la SPL. Les cessions de biens aménagés accusent des retards conséquents alors que la société a dû exposer des dépenses très importantes pour le lancement des travaux. Ce décalage temporel, inévitable s’agissant de cycles d’aménagement longs, est accru par le défaut d’anticipation sur les perspectives commerciales. Pour cinq concessions couvrant 80 % des enjeux financiers, à savoir les opérations du pôle gare, du plateau nord-est, du jardin d’entreprises, des pôles ouest et de la roseraie, le manque de pilotage rend peu probable un rattrapage en l’état.
Pour le pôle gare, la priorité donnée aux équipements publics (pôle multimodal, complexe culturel et sportif, passerelle au-dessus des voies ferroviaires) a conduit à la réduction des ambitions sur le programme commercialisable. Les besoins de financement non anticipés ont dû être comblés au coup par coup au moyen « d’avances » (70M€ au 31 décembre 2019), sans s’assurer qu’elles ne surcompensaient pas les coûts des équipements publics. Certaines ont été abandonnées à la société qui n’était pas en mesure de les rembourser, faute de recettes propres.
Pour le plateau nord-est, une nouvelle programmation a dû être définie à la suite de l’échec du projet de centre commercial initialement prévu. Par ailleurs, les faibles perspectives de débouché sur les pôles ouest hypothèquent les prévisions de recettes. Enfin, l’état du marché, notamment du fait de la sur-offre immobilière, rend difficile le comblement des retards de commercialisation et des moins-values des opérations du Jardin d’entreprises et de la Roseraie.
Au-delà des projets relevant du cœur de métier de la société, certains s’écartent de son objet social, sans motif commercial évident. Ainsi la conclusion d’un contrat de parrainage sportif, à des fins de promotion et de mise en valeur de l’image de marque, apparaît sans lien manifeste avec l’intérêt social, tout en étant onéreuse. Ces difficultés pèsent sur la situation financière de la société. Son exploitation est déficitaire sur l’ensemble de la période. Sa trésorerie a été abondée par les deux principales collectivités actionnaires jusqu’à 13,9M€ de la part de la ville de Chartres et 79,9 M€ pour Chartres Métropole fin 2019, soit respectivement 45 % et 155 % de leurs ressources fiscales respectives. Ces liquidités, mises à disposition de la société sur une durée supérieure à un an et le plus souvent sans intérêts, tendent à devenir un mode de financement récurrent qui, faute d’accélération des entrées en recettes, fait courir un risque d’emballement de la dette.
La gestion des ressources humaines a contribué à fragiliser le pilotage de l’activité. La société a recruté des cadres dirigeants des collectivités actionnaires ou des agents publics antérieurement investis de fonctions de surveillance ou de contrôle de la SPL. Si la démission des agents concernés a permis de mettre un terme à ce risque de confusion entre l’objet social de l’entreprise et les intérêts de la ville de Chartres ou de Chartres Métropole, il n’existe toujours aucun dispositif de prévention (code de bonne conduite, procédure d’alerte éthique, référent dédié aux questions de conformité, etc.). La chambre invite la SPL à se doter sans attendre d’un dispositif visant à détecter et à prévenir les situations à risque au plan déontologique.
En ce qui concerne les risques en matière d’achat, des progrès ont été réalisés dans la formalisation des procédures. Des évolutions récentes marquent la volonté de l’entreprise de professionnaliser le processus de mise en concurrence. Cependant l’examen d’échantillons de marchés révèle une évaluation des besoins insuffisamment structurée, une approche cloisonnée par opération et un faible recours à des achats mutualisés."