Sur une plage du Nord, c’est la dernière scène du film de François Ruffin, Au boulot !, comme une fête de clôture, comme une juste récompense pour services rendus à la société par les acteurs de ce documentaire, qui sont aussi les titulaires des emplois humbles et invisibilisés, peu payés, parfois bénévoles. La plus accoutumée à ces signes du luxe est absente : l’avocate et chroniqueuse Sarah Salman, protagoniste du film, avait bien relevé le défi lancé par le député de découvrir, en la partageant pour quelque temps, la condition des « assistés » qu’elle dénonçait, mais elle avait rendu son tablier avant la fin. Retour sur une impossible conversion.
Ceci n’est pas un conte
L’avenir dira si les épreuves qu’a acceptées Sarah changeront tôt ou tard le cours de sa vie ; on apprend qu’elle a seulement changé de cible, après avoir livré des paquets, fumé des poissons, assisté des handicapés, nettoyé des sanitaires, posé des câbles, gardé des vaches, et j’en passe de ces tâches dans lesquelles Ruffin l’accompagne, mettant lui-même la main à la pâte, non sans l’insolence de qui en sait plus que son adversaire. Au taf, la jeune femme a peine à renoncer à ses bijoux et autres parures, mais elle fait preuve de courage et d’empathie à l’égard des gens qu’elle côtoie. Puisqu’il lui faut bien reconnaître que ces postes ne correspondent en rien à la sinécure d’assistanat qu’elle pointait devant les micros, elle regagne son perchoir médiatique pour cingler dorénavant tous ceux qui menacent la sécurité des honnêtes gens, autre réservoir de la propagande médiatique à la mode.
Une rencontre manquée
Au fond, Ruffin fait vivre au spectateur en même temps qu’à Sarah Salman une expérience : nous sommes tour à tour dans l’esprit des exclus du système ultra-libéral, privés du minimum, puis de cette privilégiée, dont la consommation est une raison de vivre. Les uns relatent leurs galères, la chance un jour saisie, le retour à la dignité, leur sens du partage, elle fait une hallucinante liste des objets hors de prix qu’elle se paiera un jour -se décrivant comme « pauvre parmi les riches ». Les premiers n’ont pas idée de ce qu’est un croque-monsieur aux truffes à 54 euros, n’entreront jamais au Plaza Athénée - où Ruffin attend sa contradictrice avant d’entamer l’expérience. La seconde prend ses jambes à son cou après sa virée en France profonde, et rejoint sa camarilla.
Le film, qui a été à l’affiche à Chartres, ne s’y trouve plus. C’est une parabole intéressante pour temps politiques troublés : il fait mesurer la folie de l’entêtement macronien, qui aboutit à transférer la richesse collective aux mains des Arnault, Bolloré et consorts, au risque de saigner les forces vives du pays. Ruffin alerte, mêlant enquête sociologique, drame et comédie. Il est, à coup sûr, le plus créatif des élus - en même temps que le plus inquiet.
Chantal Vinet