Simone Touseau naît à Chartres le 19 août 1921, fille cadette de commerçants de lointaine extraction locale. Lorsque survient la faillite de la crèmerie familiale, place Marceau, en 1935, l’adolescente vit mal la dégradation sociale de ses parents. Son imprégnation fascisante date de cette époque.
En l’an 1940, marqué par l’effondrement de la France, Simone fréquente l’institution Guéry, lycée catholique installé en face de la préfecture. En février 1941, elle tombe amoureuse d’Erich Göz, le soldat qui gère la librairie militaire allemande au 26 de la rue du Bois-Merrain, et s’exhibe avec lui. La réputation de Simone est faite, d’autant qu’Erich fréquente presque quotidiennement la maison des Touseau, 18-20 rue de Beauvais. Bonne élève, la jeune femme réussit son baccalauréat en juillet 1941, également à se faire embaucher en tant que secrétaire-interprète dans les services administratifs de la Feldkommandantur.
À l’automne 1942, Simone et Erich se fiancent officiellement. Puis, l’homme est muté sur le front de l’Est. Alors que la Wehrmacht reflue depuis la défaite de Stalingrad, il est blessé au début de l’été 1943. Erich écrit à sa fiancée pour l’informer de son état et de sa convalescence dans un hôpital militaire à Meerane, en Saxe. Simone se porte volontaire pour travailler dans le Reich. Elle est recrutée à la BMW à Munich. En septembre 1943, elle parvient à rejoindre son amant. Elle tombe enceinte, sa santé est mauvaise, ce qui lui vaut d’être renvoyée en France en novembre. Le 23 mai 1944, elle met au monde son bébé. La Libération n’est plus qu’une question de semaines.
Ce fameux mercredi 16 août 1944 à Chartres, « l’épuration sauvage » des « collabos » commence avant même l’arrivée des Américains. Quelque trente suspects, des deux sexes, sont arrêtés et conduits en préfecture par des résistants de la dernière heure. Trois hommes sont exécutés sommairement d’une balle dans la tête. Au même moment, un « coiffeur » procède à la tonte de onze femmes accusées de « collaboration horizontale ». Dont Simone et sa mère, Germaine. En fin de matinée, Simone obtient la permission d’aller, sous escorte, chercher son bébé au domicile familial – où il est demeuré sous la surveillance de sa sœur aînée, Annette – afin de l’allaiter.
Vers deux ou trois heures de l’après-midi, Robert Capa et Ralph Morse pénètrent dans la préfecture. Les deux reporters de guerre photographient les captifs, cependant que la foule hurlante, avide de vengeance, s’agglutine à l’extérieur, derrière la double grille. Enfin, les responsables FFI ordonnent qu’on reconduise les Touseau chez eux. Robert Capa réagit d’instinct. Il quitte précipitamment la préfecture pour se placer en avant de la procession. Il se positionne au milieu de la chaussée, à l’entrée de la rue du Cheval-Blanc. Il règle son Contax pour compenser le contre-jour. La troupe avance rapidement vers lui. Il actionne son déclencheur, réarme, puis une deuxième fois. Pour la postérité, Simone Touseau est la tondue de Chartres. Capa tient là son chef d’œuvre.
Trois jours passent. Des plaintes visant la famille Touseau sont déposées au commissariat de Chartres. Surtout contre Simone et sa mère qui se sont vantées durant l’Occupation d’être anticommunistes et anglophobes. Charge aggravante, en 1943, Simone a adhéré au Parti Populaire Français dirigé par le collaborationniste Jacques Doriot. Pour les gens du quartier, il n’y a aucun doute : les Touseau sont les dénonciateurs de leurs voisins immédiats, quatre chefs de famille, raflés et déportés en février 1943, coupables d’avoir écouté la radio anglaise : Didier Hée, René Ligneul, Fernand Guilbault et Édouard Babouin. Les deux derniers sont morts respectivement en décembre 1943 et juillet 1944 dans le camp de concentration de Mauthausen.
Le 6 septembre 1944, surlendemain de la première publication de la photographie de Robert Capa dans Life Magazine, la mère et la fille Touseau sont incarcérées à la prison de Chartres puis dans le camp d’internement de Pithiviers. Georges Touseau (présenté comme un brave homme qui ne sait pas tenir les femmes de sa maison) et sa fille aînée Annette (à qui échoit la garde du bébé de Simone) échappent à la mesure carcérale. Mais tous les quatre sont inculpés d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État, crime passible de la peine de mort.
Le 1er mars 1945, Simone et Germaine sont rapatriées à Chartres. Lors des interrogatoires et des confrontations avec les témoins, les Touseau clament farouchement leur innocence. Ils sont défendus par Claude Gerbet, avoué-plaidant retors. La procédure traîne jusqu’au printemps 1946. Le dossier finit par être transmis à la cour de justice de la Seine. Les femmes Touseau sont transférées à la prison de Fresnes. Le 28 novembre 1946, le parquet relève l’insuffisance des charges pesant sur les Touseau et décide de classer l’affaire. Simone et sa mère sont libérées le lendemain. Pour autant, Simone est traduite devant une chambre civique. Et le 8 mars 1947, elle est condamnée à dix ans d’indignité nationale.
La suite est une longue descente aux enfers. Pendant sa détention, Simone a appris la mort – le 8 juillet 1944 – de son fiancé allemand sur le front soviétique. Pour couper les ponts avec le cauchemar chartrain, les Touseau quittent le chef-lieu de l’Eure-et-Loir et s’installent à Saint-Arnoult-en-Yvelines, à quarante kilomètres de là, sur la route de Paris.
Simone travaille dans une pharmacie, se marie, a deux autres enfants. Mais la rumeur la poursuit. Le couple chavire, se sépare. Simone a sombré dans l’alcoolisme et la dépression. En pleine déchéance, elle décède le 21 février 1966 à l’Hôtel-Dieu de Chartres, à l’âge de quarante-quatre ans et demi.
Gérard Leray