Voilà un roman à l’idée originale ! On parle beaucoup d’écrivains publics à qui l’on peut confier l’histoire de sa vie afin qu’ils puissent en faire un livre. En partant de cette pratique de plus en plus courante, Eric Reinhardt nous propose avec son dernier roman Sarah, Susanne et l’écrivain une variante littéraire originale.

Sarah décide de contacter un romancier qu’elle admire afin de lui proposer de lui raconter une partie de sa vie. Elle pense que les événements ayant secoué son existence peuvent intéresser un romancier et donc le public. La correspondance entre l’écrivain et sa lectrice finit par donner raison à Sarah. L’écrivain, captivé par la détermination et l’histoire de Sarah, se laissera guider pour se lancer dans un roman dont le thème est basé entre autres sur l’usure du couple. Nourri par les propos de sa correspondante, il invente Susanne, le double romanesque de Sarah. En bon écrivain, il séparera le bon grain de l’ivraie des propos de Sarah pour apporter une tonalité littéraire à cette histoire.

Malgré une relation semblant équilibrée entre Susanne et son mari, plusieurs petits détails font comprendre à l’épouse dévouée que les choses ne tournent pas rond. Tous les soirs, son mari quitte la cellule familiale et s’enferme dans son bureau. Il écoute de la musique et s’isole un peu plus des siens malgré les récriminations de sa femme.

Dans ce couple moderne, les charges de la famille sont réparties en bonne intelligence... Le mari s’acquitte de tous les investissements liés aux frais de la maison tandis que Susanne assure les courses du quotidien. Au fil du temps, Susanne s’aperçoit qu’elle ne possède finalement qu’une petite part de leur maison. Elle se rend bien compte qu’en cas de divorce, elle n’aurait même pas de quoi refaire sa vie. Après avoir vaincu un cancer du sein, c’est la deuxième peine assurée.

Afin de faire réagir son mari peu enclin à changer quoi que ce soit pour équilibrer la répartition des parts, Susanne décide de quitter le domicile conjugal un certain temps. Mais ce qui devait rester un électrochoc devient un véritable cauchemar. Refoulée par son mari, sa fille et dans une moindre mesure par son fils, Susanne se voit interdire son retour à la maison. Devenue une étrangère, elle doit se battre pour voir son fils jusqu’à un odieux chantage qui permet à son mari d’obtenir à son avantage un divorce à l‘amiable. Diminuée psychologiquement et physiquement, Susanne accepte sans condition ce chantage pour passer un été avec son fils. Mais au premier septembre elle doit dégager sans autre forme de procès.

Mélangeant la connivence entre un écrivain et son lecteur, Eric Reinhardt nous propose en cette rentrée littéraire un livre où s’entrechoquent deux réalités : celle de Sarah à celle de Susanne, son héroïne. Difficile de lâcher Sarah, Susanne et l’écrivain dans cette histoire de manipulation malheureusement et trop souvent conforme à la réalité.

Pascal Hébert

Sarah, Susanne et l’écrivain, d’Eric Reinhardt, éditions Gallimard, 420pages, 22€.

Photo Francesca Mantovani