…ou notes d’un prisonnier de la peste à propos de l’épidémie en France, printemps 2020.
Dimanche 5 avril : l’enfer, toujours
On utilise depuis plusieurs jours des trains à grande vitesse et des avions pour déplacer des malades, qui doivent subir la fatigue du déplacement en sus de la souffrance due à la maladie. Le malade est un objet qu’on déplace pour faire de la place au nouveau qu’on vient d’apporter. Le bilan écologique et le coût monétaire de ces déplacements d’êtres humains doivent être calamiteux, mais personne ne penserait à faire le calcul.
Vu dans un reportage sur un hôpital dans l’est de la France : un médecin explique qu’il faut quatre fois plus d’appareils électroniques de toute sorte pour s’occuper d’un malade de la nouvelle peste que pour quelqu’un qui est maalde d’autre chose. À l’écran, la tête des malades disparaît sous une sorte de casque en plastique transparent.
Une enquête par sondage sur internet rapporte que les médecins interrogés (sept mille) considèrent la quinine synthétique comme le meilleur médicament, celui-là même qu’il est interdit d’utiliser ailleurs qu’à l’hôpital, pour des gens déjà très mal en point.
Déplacement de six malades en avion vers la république tchèque : cette nouvelle me rappelle une page où Emmanuel Todd explique que la France finira par se retrouver bientôt, sur le plan économique, au même niveau que ce pays, comme c’était le cas avant la Seconde Guerre mondiale.
Lundi 6 avril
Une enquête de la radio d’État sur le commerce de matériel médical. La guerre de tous contre tous dans les hôpitaux européens, « la loi du plus riche, du plus malin, du plus criminel ». Des masques bidonnés, vendus vingt fois plus cher que les vrais masques avant l’épidémie. Des appareils conçus pour les gens très malades, inutilisables. Le tout vendu à prix d’or.
Un ami : « Je suis sur le front pour trois papiers, et même pas un coup de balai… Mieux : ils ont fait revenir le jardinier ! »
On revient contre son gré dans le monde normal, grâce au retour des catastrophes ordinaires : incendie près d’une centrale nucléaire qui a explosé il y a trente-quatre ans, explosion d’une usine chimique ailleurs. Sortir de la tragédie du moment, en revenant à d’autres qui se sont déjà jouées.
Une de mes connaissances a utilisé son ordinateur pendant soixante heures lors de la première semaine de travail via internet. A l’intérieur, des composants liquides ont séché, et d’autres composants ont fondu. Il bricolé un nouvel ordinateur à partir de pièces détachées provenant d’appareils anciens. Impossible de récupérer les fichiers informatiques enregistrés dans l’ordinateur qui ne fonctionne plus.
Dictionnaire franco-macronien :
Syrie : lointaine contrée où les hôpitaux manquent de tout. N’a pas son équivalent en Europe, selon certains.
Mercredi 8 avril
À la pharmacie : beaucoup de gens, surtout des vieux, portent toutes sortes de masques sur le visage. Certains ont l’air de vrais masques qui peuvent empêcher les virus d’entrer ou de sortir selon le cas, à condition d’être bien faits et en bon état. Les autres masques, on les a bricolés. Un savant (qui appartient à une de ces grandes institutions où on parle beaucoup pour donner aux humains l’illusion qu’ils peuvent échapper au destin ordinaire des êtres vivants) a déclaré à la radio d’État que cela valait mieux que rien. Et c’est ainsi qu’on va continuer à essayer de se procurer des masques anti-virus, en principe réservés aux gens qui soignent les malades. Des trafiquants de drogue se seraient mis au trafic de matériel médical, selon la radio.
À suivre.
Stéphane Mourad