Mathilde a vingt ans. Originaire de l’agglomération de Chartres, elle effectue ses études supérieures à Séoul, en Corée du Sud. Le mois dernier, elle a été contaminée par la Covid-19. Elle raconte à Cactus son expérience de réclusion à l’hôpital.
« Eh bien non, cela n’arrive pas qu’aux autres ! Même si je l’ai réalisé un peu tard. Mon aventure covidéenne a commencé le 8 mai au matin, lorsque j’ai appris que des amis vus quelques jours plus tôt avaient attrapé la bête, et donc que j’avais de fortes chances de l’avoir également. Mais tout d’abord, pour mieux comprendre la suite, une explication des mesures mises en place ici semble nécessaire :
Depuis mars, pour entrer dans la plupart des endroits de « fête » comme les bars ou les boîtes de nuit, nous devons noter nos coordonnées à l’entrée, et on prend notre température. Ainsi, si quelqu’un ayant visité le lieu se retrouve infecté, chaque visiteur est recontacté. Quand quelqu’un est positif, il doit expliquer chaque détail de son emploi du temps depuis sa potentielle infection, et chaque personne rencontrée doit faire un test et rester deux semaines en confinement même si le résultat est négatif.
Des centres de test ont été mis en place dans chaque arrondissement de Séoul, ainsi qu’un numéro de téléphone à appeler pour toute question liée au virus. Lorsque l’on a un doute sur le fait d’être infecté, il faut appeler le numéro et expliquer son cas afin de connaître la marche à suivre. Généralement, quand nos craintes sont valables, il faut se rendre dans le centre de test le plus près de chez soi à pied. Arrivé là-bas, on doit remplir un questionnaire, en indiquant ses coordonnées, les éventuels récent voyages à l’étranger et symptômes, puis on est appelé dans une salle pour faire le test (grand coton tige dans le nez et dans la gorge). On repart ensuite chez nous à pied directement, et on doit rester isolé jusqu’aux résultats. Sachant que mes amis avaient dit aux autorités qu’ils m’avaient vue alors qu’ils étaient déjà positifs, j’ai décidé d’aller faire le test de moi-même, avant que l’on m’appelle.
Maintenant que tout le monde comprend un peu mieux, j’espère, je vais raconter mon histoire.
Je suis en Corée depuis le 1er mars 2020. Je suis arrivée au moment où la Corée du Sud était le deuxième pays ayant le plus de cas de coronavirus dans le monde après la Chine. Tout le monde me demandait pourquoi je n’annulais pas mon séjour, mais y allant pour un stage, ce n’était pas si simple. C’est aussi mon troisième semestre ici, je me doutais donc que les mesures d’hygiène mises en place allaient rapidement contrôler l’épidémie. J’ai réussi à passer à travers cette première vague et, au final, quelques semaines plus tard, c’est l’Europe qui entre en quarantaine alors que la situation s’améliore en Corée. Le pays n’a jamais été entièrement mis en quarantaine, et à part le fait de devoir porter un masque et se désinfecter les mains à chaque coin de rue, la vie ne changeait pas tant que ça. Les restaurants, bar et cafés étaient toujours ouverts, seules les boîtes de nuit ont fermé pendant un certain temps.
Mais à partir de la mi-avril environ, les gens commencent à faire moins attention, il n’est pas rare de voir des gens sans masques (autant des Coréens que des étrangers) et les boîtes réouvrent.
Pour moi, tout commence le dimanche 3 mai, je savoure ma liberté après avoir fini mon stage quelques jours plus tôt et décide de sortir passer la soirée avec des amis. Je ne sais pas si ce serait exagéré de dire que tout a basculé le vendredi 8 mai, quelques jours après cette sortie qui semblait banale. Je ne voulais pas aller en boîte à cause du virus, alors mes amis m’emmènent dans un petit bar. La semaine suivante se poursuit, et en milieu de semaine, on apprend que suite à la visite d’un homme infecté dans une boîte à Séoul, des centaines voire des milliers de personnes ayant potentiellement été en contact avec lui doivent se faire tester. Je n’en fais pas partie, mais mes amis oui.
Très tôt le vendredi matin, mes amis me disent qu’ils ont été testés positifs au coronavirus, et que je dois aller faire le test aussi. À ce moment-là, je ne réalise pas vraiment et j’essaie de me convaincre que je ne l’ai pas. Je me dis que le mal de gorge depuis deux jours est sûrement dû à un rhume, que je n’ai pas de fièvre, donc que tout va bien. Après avoir passé le test, le manager de la résidence où j’habite me dit qu’il faut que je déménage dans un autre appartement le temps de connaître le résultat, car je vis avec une colocataire. Je prends donc quelques affaires et vais dans un appartement toute seule, trois étages plus haut. L’attente des résultats est longue, mais je ne réalise toujours pas vraiment.
À partir de 20 heures, je reçois quelques appels du centre de santé pour connaître mes déplacements de la semaine même si mes résultats d’analyse ne sont toujours pas connus. Puis, à 21h30, on m’appelle, on me dit que je suis positive. Je demande de répéter, pas sûre d’avoir bien compris, mais la réponse reste la même. On m’explique qu’une ambulance va venir me chercher et m’emmener dans un hôpital. Puis, j’ai à peine le temps de prévenir ma famille et mes amis que les appels s’enchaînent encore, je réponds encore et encore aux mêmes questions sur chaque détail de mon emploi du temps depuis le dimanche. Vers minuit, l’ambulance arrive, je suis sous la pluie sur le trottoir avec ma petite valise, ne comprenant toujours pas très bien ce qui m’arrive.
Une fois prise en charge, je n’ai plus le temps de penser. Arrivée à l’hôpital, on me fait faire une radio sur le parking, il est plus de minuit, personne ne parle anglais, on ne m’explique rien. Je me contente de suivre les instructions au fur et à mesure. Faisant des études de coréen, j’arrive à comprendre et à communiquer, mais la fatigue ralentit le processus. Après la radio, une infirmière me conduit à ma chambre, une autre vaporise du désinfectant partout derrière moi. Une fois arrivée devant la porte de ma chambre, je réalise en voyant trois lits que j’allais devoir la partager. J’étais étonnée, énervée et paniquée, car je n’arrive pas à dormir avec d’autres personnes autour de moi. Je me mets finalement à pleurer, car c’est à ce moment que je réalise réellement ce qui m’arrive. Mais tout va encore très vite, il est déjà tard, alors on enchaîne les examens. Je refais le test pour le virus, ainsi qu’une prise de sang et peut-être d’autres choses encore, mais ma mémoire est floue sur ce moment que je vivais comme irréel.
Vers une heure 30 du matin, après m’avoir plus ou moins expliqué toutes les procédures pour vivre ici, notamment le processus très compliqué pour aller aux toilettes, j’ai enfin soufflé, et commencé lentement à réaliser ce qui m’arrivait au fur et à mesure que je le racontais à mes amis et à ma famille. Cette première nuit, je n’ai dormi que par petites siestes.
Le lendemain, on me réveille à 5 heures pour prendre ma température et ma tension. Après, on m’apporte le petit déjeuner à 7 heures. Je demande à l’infirmière s’il y a de la wifi, et en entendant la réponse négative, c’est encore la panique. Comment contacter mes parents, mes amis, et aussi comment occuper mon temps sans Internet ? Les conditions d’hospitalisation ne sont pas faciles non plus, à trois dans la chambre avec une dame bien plus âgé et une fille qui semblait avoir dans mes âges, des blouses d’hôpital qui tiennent trop chaud, une surveillance par caméra 24h/24, un check-up de la température/tension plusieurs fois par jour de 5 heures du matin à 21 heures, et le meilleur pour la fin : étant trois dans la chambre, on doit porter un masque 24h/24 aussi, (oui, même pour dormir). On a le droit de l’enlever uniquement pour manger et sous la douche. Si on l’enlève en dehors de ces moments-là, l’infirmière le voit sur la caméra et nous rappelle à l’ordre directement. Oh, comme je regrette les temps où je ne devais le porter que dehors et que je râlais quand même ! Ce fut une journée très difficile, je ne voulais pas inquiéter les gens, mais j’étais moi-même très inquiète. Je pensais aussi à mes amis, que j’avais vus chaque jour depuis le dimanche et qui devaient donc aller se faire tester par ma faute.
Je reçois aussi des dizaines d’appels pour expliquer encore et encore ce que j’ai fait pendant la semaine, avec qui, quels moyens de transport j’ai pris et à quelle heure, dans quels restaurants j’ai mangé, etc, etc. J’ai l’impression de répéter toujours la même chose à des gens différents, comme s’ils ne communiquaient pas entre eux. Parfois, j’ai la chance d’avoir quelqu’un qui parle anglais au bout du fil, mais c’est rare. Au bout d’un moment, fatiguée de tout ça, je décide de faire semblant de ne pas parler un mot de coréen pour qu’ils fassent un effort en anglais.
Lors de cette première journée, tout me paraît très compliqué, pour aller aux toilettes ou prendre sa douche, il faut demander aux infirmières avant, car c’est dans le couloir et on les partage avec une autre chambre, et il faut faire attention à ne croiser personne. Quand on sort pour y aller, on doit mettre une lingette désinfectante ou un gant entre notre main et les portes.
Le lendemain, ma voisine qui est dans mes âges me propose de traduire. J’explique mon problème de wifi, et alors que l’infirmière me dit qu’elle ne peut rien faire pour moi, ma voisine me propose un partage de connexion permanent. C’est vraiment très gentil de sa part, on discute un peu et j’apprends qu’elle est là depuis la fin du mois de mars. Un bref calcul dans ma tête et… oh, c’est bien loin des deux semaines que j’espérais passer ici ! Elle m’explique que la moyenne de temps à l’hôpital est de trente jours, mais que ça peut aller jusqu’à deux mois. Je craque. Ce n’est pas la première fois depuis que je suis ici, mais là… C’est comme si tout s’écroulait.
Ce dimanche, je perds également le goût et l’odorat. Ce sont mes premiers symptômes du virus, je n’ai pas eu de problèmes respiratoires, et seulement très peu de fièvre, mais la perte de l’odorat et du goût est très déstabilisante. Le seul réconfort de cette journée a été d’apprendre que mes amis étaient négatifs au test, donc je n’ai contaminé personne. Ils doivent cependant faire la quarantaine coréenne, qui n’a rien à voir avec celle en France. Ici, le gouvernement fait parvenir un carton de nourriture/eau et d’autres choses nécessaires, et il est formellement interdit de quitter son domicile. Ils sont géolocalisés, et ne peuvent même pas sortir leur poubelle.
On me met également en contact avec la psy de l’hôpital, je dois remplir un questionnaire sur mon état mental, cette expérience étant considérée comme traumatisante. Cette psy parle plus ou moins anglais, je ne suis toujours pas bien sûre si elle comprend tout ce que je lui dis. Elle me pose beaucoup de questions, mais ses réactions à mes réponses ne me font pas sentir mieux du tout, au contraire.
Mes premiers jours se passent alors tous plus ou moins de la même façon, avec le réveil à 5 heures, le petit déjeuner à 7 heures, le déjeuner à 11 heures 30 et le dîner à 17 heures. À chaque repas, on a le droit à un plateau avec du riz et d’autres accompagnements selon son régime alimentaire. Personnellement, j’ai du tofu chaque jour et du poulet, du porc ou des oeufs. On a également une petite soupe et des radis. C’est peut être appétissant pour certains, mais pas pour moi. Ne dormant toujours pas plus que quelques heures par nuit, j’en profite pour prendre ma douche très tard le soir afin de pouvoir prendre mon temps sans déranger les autres qui auraient envie d’aller aux toilettes. Je suis très déprimée pendant la journée, et beaucoup de questions se bousculent dans ma tête : comment faire pour mon visa ? Pour mes affaires laissées dans mon appartement ? Etc etc. Chaque journée apporte ses nouveaux petits soucis. Pendant cette période d’adaptation ici, je suis très reconnaissante envers mes amis et ma famille qui m’ont beaucoup soutenue. Je passe plusieurs heures par jour au téléphone. J’ai une amie qui a même appelé l’immigration pour moi afin d’avoir les infos pour mon visa. Ça m’a fait vraiment du bien de me sentir entourée pendant cette période, même si personne ne peut venir me voir à l’hôpital directement. J’ai commencé à me sentir mieux après ma première semaine ici, quand je me suis résignée et que j’ai compris que déprimer ne m’aiderait pas à sortir plus vite. Je devais simplement être patiente. »
À suivre.