Voyager en train a toutes sortes d’avantages, notamment celui de jauger notre société. C’était avant-hier, lundi 31 janvier, dans le TER de 16h27, reliant Angers au Mans…
Avant Sablé, une colonne formée de quatre contrôleurs (deux hommes, deux femmes) et de quatre agents estampillés « SNCF Sécurité » traversent la voiture où sont accrochés les vélos. Ces derniers reviennent peu après se poster dans l’espace où l’on peut se tenir debout. L’un des quatre tient un chien muselé en laisse. Je ne peux m’empêcher de demander s’il s’est passé quelque chose de particulier qui explique une telle présence. Le maître-chien est surpris, et me répond que non ; que ces patrouilles sont usuelles, et nécessaires. Pourquoi ? Parce que les passagers se plaignent, parce qu’il n’y a plus beaucoup de contrôleurs. J’objecte qu’aujourd’hui ils ne manquent pas (le train comporte deux wagons). Mon interlocuteur dit qu’en général il faut compenser le manque de contrôle, car on économise sur le personnel. Et puis il y a de la « faune » sur le parvis du Mans nord, affirme-t-il.
Entre-temps, les contrôleurs arrivent, et font leur travail. Deux contrôleuses passent un peu plus de temps avec un voyageur dont elles vérifient le titre, et en discutent la validité. Les agents se déplacent à la hauteur du voyageur en question, qui est noir ; le chien aboie, est tout de suite maîtrisé. L’autre agent se place nettement derrière le voyageur, et lit par dessus son épaule l’écran où ce dernier cherche, sans se démonter.
La train a avancé. Tout le monde descend au terminus.
Chacun comprendra ce que l’aboiement du chien réveille dans nos consciences. Personne autour n’a bronché, et je n’ai rien dit -vague lâcheté, peur de souligner un malaise déjà assez palpable. J’ai repensé à un questionnaire qui m’avait été infligé quelques mois plus tôt sur cette même ligne, où l’on orientait insidieusement l’usager (ou le client) sur les questions de sécurité. Quelles décisions ont été prises dans le groupe « Aléop » (Région Pays de la Loire) et à la SNCF ? Quoi qu’il en soit, la surveillance dont j’ai été le témoin répand le malaise plus que le sentiment d’être protégé, et je relierai cette oppression au soupçon permanent qui prévaut désormais dans les gares : vous êtes un fraudeur en puissance, et vous devez constamment vous justifier et passer des portiques. J’affirme qu’en cinq décennies de pratique cette situation est inédite. Et je doute que les agents salariés par la SNCF représentent des économies d’échelle par rapport à des agents normaux veillant sur les passagers. Le mobile est indiscutablement ailleurs, qui s’inscrit dans ce processus obscur de régionalisation-privatisation.
Nous ferions bien de nous demander si ce sont ces rails que nous voulons suivre.
Chantal Vinet