Ouvrir « Votre Ville » a toujours eu quelque chose de salissant : c’est consentir à une opération éhontée de tromperie, comme toute propagande. Numéro 194, de novembre 2019 : la cathédrale fait la une. On soupire, ravale ses principes – non que l’on s’attende à une information, mais on est curieux de voir la forme que prendra cette fois l’entêtement municipal.

Si le sujet n’était si grave, on rirait à la vue de ces dessins sortis d’un cerveau d’ordinateur : plateformes stéréotypées, inclinées, comme s’il y avait un parking en dessous (non, cela, on l’a déjà eu…), triangles d’herbe (ajustés façon pain de mie) au milieu de triangles de béton. Comme contrepoint à la foisonnante symbolique de l’édifice, c’est pensé. Cette fois, le regard sur le monument n’est pas, à proprement parler, entravé : on ne va pas se mettre à dos une fois de plus ceux qui veulent voir la cathédrale. Mais les promoteurs d’un tel projet ont-ils une fois en leur vie levé les yeux sur elle ?

A quoi bon cette offre supplémentaire, comme celle d’une quelconque marchandise qui, aux tentatives précédentes, n’aurait pas plu au client ? La protestation a été immédiate, nette, unanime et durable. Quel diable pousse alors une équipe d’élus par définition éphémère à inscrire son empreinte dans le paysage d’un monument qui a, lui, traversé sept siècles ? Comment n’est-on pas rappelé à l’obligation de la réflexion, de la modestie, puisqu’on ne peut atteindre au génie du lieu ? Pourquoi ne pas le laisser tranquille ? Un jardin seul serait susceptible de le respecter, et l’on connaît des artistes qui sauraient le composer, inspiré de ceux qui ornent nombre de lieux où souffle l’esprit.

Durtal, le héros du roman que Joris-Karl Huysmans, subjugué par Notre Dame, publia en 1898, La Cathédrale, dit : « je suis pour les reines délaissées » : non qu’il plaidât pour son abandon, mais pour le silence qui devait entourer celle qu’il qualifiait d’ « âme sculptée ». Poursuivons encore, avec Huysmans : « Et quelle âme ils avaient, ces artistes ! Car, nous le savons, ils ne besognaient que lorsqu’ils étaient en état de grâce. Pour élever cette splendide basilique, la pureté fut requise, même des manœuvres. »

Personne n’ignore qu’aujourd’hui les manœuvres et les artistes seraient logiciels, pelleteuses et bétonneuses : on ne raisonne apparemment pas l’orgueilleux pouvoir, mais on fait ce que l’on veut de sa folie des grandeurs et des assauts de séduction qui en découlent.

Chantal Vinet