Au mitan des années 2010, j’avais entrepris de réaliser la biographie de Paul Desort (1908-1998), plus connu sous le surnom de « Monsieur Paul ». Cet arnaqueur de toute une vie avait achevé sa carrière par un chef d’œuvre magistral à Chartres ; la chaîne de Ponzi – une cavalerie financière - qu’il avait échafaudée avait abusé plusieurs centaines de Beaucerons entre 1981 et 1988. Pour un montant faramineux estimé à 80 millions d’euros en valeur actuelle. L’affaire s’était terminée par une chasse à l’homme menée par Interpol, une arrestation rocambolesque et un procès à Paris, largement médiatisé.
Avant cela, Desort avait été pendant vingt ans le bras droit de l’abbé Pierre au sein d’Emmaüs, et le génial organisateur des communautés permanentes et itinérantes spécialisés dans le ratissage systématique des matériaux usagés et autres matériels encombrants à des fins de recyclage, réparation et revente. Les rentrées d’argent avaient fait la fortune d’Emmaüs et nourri son entreprise d’aide aux mal-logés et « cabossés » de la Terre.
Or, « Monsieur Paul » avait une double vie. Tantôt il faisait le bien - sincèrement -, tantôt il piquait dans la caisse pour assouvir ses goûts de luxe et sexuels. Emmaüs avait fini par l’expulser, en catimini, pour éviter le scandale. Néanmoins, l’abbé Pierre avait tenu à conserver jusqu’au bout un contact avec son ancien « Premier ministre ».
Presque au bout de mon enquête, le dernier avocat de Paul Desort, celui du procès parisien consacré à l’escroquerie chartraine, m’avait confié qu’il avait réussi à éviter à son client un procès en cour d’assises pour des actes ne relevant pas de magouilles financières. Sans plus de détails, mais on peut facilement deviner lesquels…
Et voilà qu’aujourd’hui, un nouveau scandale - énorme - envahit la place publique. Il touche cette fois le vénéré Pierre, « le Père », ainsi appelé au sein d’Emmaüs, accusé d’avoir été un prédateur sexuel. Alors, il faut que je raconte ce que, moi, je sais de cette affaire. Il y a dix ans, j’avais recueilli ce témoignage :
« J’étais jeune, j’avais dix-huit [au début des années 1970, note de l’auteur]. J’étais naïve. J’étais bénévole dans une communauté itinérante. Le Père nous avait rendu visite. Nous étions en admiration devant lui. Il avait l’habitude de faire la sieste après le repas du midi. J’ai été chargée d’aller le réveiller au bout d’un certain temps. J’ai toqué à la porte de la chambre. Pas de réponse. Alors, je suis entrée. Il dormait. Je l’ai doucement secoué. Il s’est relevé, puis s’est avancé vers moi en posant ses mains sur ma poitrine. Je l’ai repoussé. Il s’est excusé. Je me suis échappée, complètement sidérée. »
Pierre et Paul, assurément le même moule.
Gérard Leray
Gérard Leray, Monsieur Paul, l’escroc qui aimait les pauvres, Ella éditions, 2016, réédité en 2017.