Le jeudi 9 novembre 1989, il est un peu plus de vingt heures, je participe à une réunion parents-professeurs au collège Nicolas-Robert à Vernouillet. Au même moment, les radios et les télés annoncent que le Mur de Berlin est ouvert. Des milliers de Berlinois de l’Est sont en train de passer à l’Ouest ! Le Mur s’effondre ! C’est ma compagne qui me prévient au téléphone. Ce soir-là, sur la RN 154, entre les agglomérations drouaise et chartraine, je crois bien avoir battu le record de vitesse en 2 Chevaux pour rentrer à la maison.

Trois mois auparavant, en plein été, à bord du même bolide, nous avions traversé le Rideau de fer pour une immersion d’un mois en Hongrie, Tchécoslovaquie et RDA. Où nous avions découvert un monde de pénurie et de pauvreté. Budapest, Prague, Dresde, Berlin, villes minéralement impressionnantes, mais déprimantes à cause du sevrage de liberté. Des passages de frontières entre ces « pays frères », je ne vous en dirai que trois mots : tout simplement sinistres. Et encore, de la roupie de sansonnet à côté du franchissement du Mur entre l’Est et l’Ouest de Berlin.

Je nous revois sillonnant à l’aveuglette, sans plan de circulation, la partie orientale de la ville maudite à la recherche d’un point de passage vers l’Ouest. Les grandes avenues désertes, l’Alexanderplatz, Unter den Linden, la première vision du Mur à la hauteur de « Checkpoint Charlie », les miradors, les blocs de béton, les barbelés… Je repense à ces deux parachutistes soviétiques en treillis de combat noir, braquant sur nous leurs AK47 : ils durent nous prendre pour des Martiens dans leur drôle de bagnole décapotée.

En tout cas, impossible de passer à cet endroit réservé aux diplomates, surtout dans un contexte de forte tension à cause de la prise d’assaut au même moment des ambassades occidentales par des centaines de demandeurs d’asile à qui la « Perestroika » gorbatchevienne donnait des ailes. Nous fûmes obligés de contourner Berlin par le Sud-Ouest. Une soixantaine de kilomètres en sus. Un automobiliste est-allemand, anonyme, au volant d’une Wartburg (le modèle cousin des fameuses Trabant à moteur deux temps), nous guida dans la nuit jusqu’au poste de la délivrance.

Une grosse heure pour accomplir quelques centaines de mètres sous des projecteurs aveuglants. Des postes de contrôle à répétition, des fouilles et des taxes illicites en deutschmark… Et puis, Berlin-Ouest, ses lumières, son opulence, son insouciance et ses fameux graffitis sur le Mur dans un délire d’expression exubérant.

Nous sommes retournés trois fois à Berlin. La dernière fois, c’était il y a une semaine, pour une sorte de pèlerinage, trente ans après. La capitale de l’Allemagne réunifiée est devenue magnifique : un plan urbanistique équilibré, des circulations fluides, un gigantesque espace vert en coeur de ville (le Tiergarten), un immobilier à visage humain et des musées à profusion, dont la fabuleuse Gemäldegalerie.

Des 155 kilomètres du Mur de la honte qui isolèrent Berlin-Ouest entre le 13 août 1961 et le 9 novembre 1989, il ne reste plus aujourd’hui que quelques tronçons préservés sur Bernauerstasse et sur Mühlenstrasse (East Side Gallery), au nom du devoir de Mémoire. Les abords de la Porte de Brandebourg et de « Checkpoint Charlie » attirent quant à eux des hordes de touristes gogos qui adorent se faire photographier bras dessus bras dessous avec de faux vopos (ex-gardes-frontières de la RDA) et des GI’s factices, et qui se précipitent dans les boutiques à souvenirs pour acheter des tonnes de prétendus authentiques morceaux du feu Mur…

* Authentique morceau du Mur.

Gérard Leray

Born in the USA à Berlin-Est le 19 juillet 1988
Chimes of freedom, à Berlin-Est le 19 juillet 1988 (chanson de Bob Dylan)