Léon Altenburger fut l’honneur de la résistance chartraine le 16 août 1944. Ce jour-là, vers 10 heures du matin, alors que l’avant-garde-américaine n’avait pas encore atteint le centre-ville, il fut informé que certains de ses subordonnés résistants s’amusaient à tondre des femmes présumées « collabos » dans la cour des communs de la préfecture d’Eure-et-Loir. Dont Simone Touseau, la fameuse « tondue de Chartres ». Aussitôt arrivé sur place, il piqua une « gueulante » contre la soldatesque d’opérette, ordonna qu’elle cesse immédiatement cette infamie et se mettre immédiatement en route pour aller combattre l’ennemi allemand en retraite du côté de la Porte-Morard et de la route de Paris.
Grâce à Natacha Bernard-Peyre, arrière petite nièce d’« Alten », Cactus revient sur les origines et le parcours de vie de ce sacré bonhomme.
Paul "Léon" Joseph Altenburger était né le 18 janvier 1884 à Chartres. Il était le fils légitime d'Émile Altenburger (1857-1932), et de Marie-Célestine (dite Alix) Lalance (1865-1956), âgés respectivement de 26 ans et 18 ans à sa naissance. Il était l'aîné d'une fratrie de quatre enfants comprenant René Albert (1885 à Courtalain - 1971 à Lèves (28)), Berthe Madeleine (1889 à Chartres - 1980 à Chartres) et Jeanne Alix Isabelle (1895 à Chartres - 1974 à Chartres).
Émile et Alix venaient d’Alsace et de Moselle, et avaient fait le choix volontaire de la nationalité française en 1872. De ce choix vient peut-être la prononciation tout sauf germanique [altɛnbyʁʒɛʁ] du nom par l’ensemble des membres de la famille jusqu’à aujourd’hui, le surnom Alten étant cependant partagé par quelques personnalités masculines sur plusieurs générations, dont Léon.
Après une carrière aux chemins de fer comme chef de district, Émile se lançait avec son épouse dans l’hôtellerie-restauration à la fin des années 1880. Ainsi, ils tinrent pendant plusieurs années l’Hôtel de l’Ouest, 3 Place Jehan de Beauce face à la Gare de Chartres, qu’ils cèderont à leur gendre Chartier et à leur fille Berthe. L’affaire quittera le giron familial par la suite. Émile “dirigeait” sa famille et “je veux et j’exige” était sa ligne directrice... Bref, il n'était pas un tendre...
Son deuxième fils, René, ne s’en montrera que plus indiscipliné, jusqu’à être confié par ses parents à un architecte belge, client de l’Hôtel de l’Ouest, de passage à Chartres pour des travaux sur la cathédrale, qui le forma au métier de dessinateur en bâtiment. Il suivra cet architecte dans son cabinet bruxellois, et en épousera la nièce, faisant ainsi l’expérience, jusqu’à l’exode provoqué par la 2ème Guerre mondiale et un retour à Lèves, d’une vie plutôt privilégiée grâce à sa belle-famille.
L’aîné de 23 mois, Léon, lui, se trouva embrigadé dans l’affaire familiale. A 14 ans, il fut apprenti-cuisinier. Ce sera son premier métier, qui le mènera très loin de Chartres. Ainsi, on le retrouve en 1904, année de son appel sous les drapeaux, au Grand Hôtel à Rome (Italie), en 1907 à La Haye (Pays-Bas), en 1908 à Lahore (Indes anglaises, actuel Pakistan), en 1911 au Palace Territ à Caux-sur-Montreux (canton de Vaud, Suisse), en 1919 à l’Hôtel du Rhin à Strasbourg. Il n’est pas certain que cette liste soit exhaustive.
Après un divorce difficile en 1922 à Nice d’avec sa première épouse, Berthe Lucie Bovay, citoyenne suisse, épousée à Lahore en 1908 et dont il a eu un fils, Georges Paul Émile (la même année), c’est également à Nice en 1922 qu’il épousa Elisabeth Alibert. Ils divorceront en 1945 à Chartres. En réalité, Alten vivait à Lèves depuis plusieurs années avec Marie Adrienne Guiot, qu’il épousera très tardivement. Ils sont enterrés ensemble à Dammarie où se trouvait leur dernier domicile commun.
Le retour d'Alten en Eure-et-Loir dans les années 1920 fut marqué par un drame : la mort de son unique enfant. En 1930, sur fond de conflit toujours vif entre ses deux parents, après un passage par l’Institut d’Alligre à Lèves, George Paul Émile décédait à l’hôpital de Bonneval, emporté par une tuberculose. Il avait 22 ans, et des troubles décrits par les médecins comme psychiatriques.
Plus tard, en 1924, Alten et sa deuxième épouse se fixaient à Lèves, au Clos de la Grappe (rue de Josaphat). Les recensements de 1926 et 1931 lui attribuent la profession de cultivateur. La propriété, acquise par ses parents, s’étendait alors de l’actuel n°23 aux anciennes Caves Gauloises. Il avait effectivement créé et entretenu durant de nombreuses années un très grand coteau de framboisiers resté fameux dans la famille et un potager qui lui permit d’aider, entre autres, la famille de son frère pendant l’Occupation : sa générosité est restée dans la mémoire familiale.
Cependant, au recensement de 1936, jusqu’à sa retraite, c’est en tant que contrôleur de la caisse des dépôts des assurances sociales qu’il est identifié.
Flash-back sur son parcours d’ancien combattant
Alten était de la classe 1904, subdivision de Dreux n°39, canton de Chartres. En 1906, il fut mis en disponibilité avec le grade de caporal. Logiquement, il fut rappelé à l’activité dans le cadre de la mobilisation générale le 2 août 1914.
Son parcours durant la Première Guerre mondiale peut ainsi être résumé :
- Le 15 mars 2015, il fut cité à l'ordre du 19e bataillon : "A, par son initiative, son courage et sa ténacité, réduit au silence une mitrailleuse qui enfilait la tranchée française y causant des pertes importantes".
- Le 16 mai 2015 : à Souvaux (Meuse), il était blessé par une seule balle qui lui créa "à la fois une plaie contuse entre bord droit du sternum et le mamelon droit et sur la face postérieure du bras gauche".
- Retourné rapidement au front, il fut gravement blessé par balle à la mâchoire le 27 février 1916, ce qui le désignera comme “gueule cassé”. Fait prisonnier de guerre lors de ce combat de la Ferme de Navarin (Champagne), il fut envoyé dans un camp en Saxe. Son parcours de prisonnier pris en charge par la Croix Rouge le fit passer par un internement dans le Valais central (Suisse) à partir du 14 janvier 1917. Il fut finalement rapatrié en France le 24 juillet 1917. C’est lors de son séjour en Suisse qu’il fut initié franc-maçon, le 23 mars 1917, au grade d’apprenti à la loge La Fraternité de Genève (Suisse).
- Une décision ministérielle paru au J.O. du 11 mai 1925 lui conféra le grade de lieutenant au sein du 22e Bataillon de Chasseurs.
- Il fut décoré de la Légion d’Honneur au grade d’officier en 1917.
A la veille de la Seconde, alors que les tensions internationales s’exacerbaient, il avait rang de maître vénérable de la Loge Marceau sise à Chartres. A ce titre, il saluait par un courrier l’arrivée d’un préfet républicain à la tête du département d’Eure-et-Loir, et sollicitait de lui un entretien.
(https://www.jeanmoulin.fr/data/Lettres/1939/1939-03-09-L_Altenburger_JM-se/20200416_140547.jpg)
Puis, sous l’Occupation, ses activités connues de franc-maçon lui valurent d’être surveillé. Son témoignage de 12 pages conservé aux Archives d’Eure-et-Loir commence ainsi :
“Préambule (5 mai 1940). Officier d'alerte d'Eure-et-Loir, je partis volontairement au front en septembre 1939 et fut affecté au 604e pionnier où je fis le commandement de la 3e compagnie sur le front de Belgique. Atteint par la limite d'âge des lieutenants, je fus renvoyé au dépôt à Mayenne, puis libéré sur ma demande le 5 mai 1940. Je repris mes fonctions de contrôleur des assurés de la Caisse des assurances sociales rue des Vieux Capucins et avec une allocation de 150 l d'essence par mois pour assurer mon service. A la suite de la publication à l'officiel des listes de franc-maçon trouvées au Grand Orient et la découverte de ma photographie sur une affiche restée collée sur le pont du Bourgneuf lors de ma conférence sur le 2e bureau au Majestic, les Allemands vinrent me trouver au siège des assurances sociales pour me demander des renseignements sur les francs-maçons de Chartres. Je prétextais ma mobilisation, qui prouvait ma non-activité maçonnique pour prétendre ignorer qui étaient les membres actuels de la loge Marceau, n'étant pas au courant, depuis plus d'un an, des décès, départs, etc. Ils ne possédaient d'ailleurs que des listes antérieures à 1933, je crois. Quelque temps après, je fus convoqué à la Gestapo rue des Vieux Capucins et questionné sur ma situation militaire, et les fonctions que j'avais remplies au 2e bureau. (…).”
Son entrée dans la Résistance passive remonte à décembre 1942 : “Cela s'est fait tout à fait par hasard, tout au moins pour cette branche de mon activité : réception et hébergement d'agents de liaison, leur camouflage et celui d'outils à déboulonner les voies, explosifs et matériels ad hoc. (…) Pendant tout 1943 aux assurances sociales, et grâce à mes fonctions, je diffusais les exemplaires du journal de la RAF qui m'était remis par Fargues qui le tenait lui-même de son frère chef de bureau à la préfecture. J'ai su par la suite qu'il venait de Poitevin. C'est aussi en collaboration avec Fargues que nous dotions les ouvriers menacés du STO de fausses cartes d'identité officialisées par le cachet de la préfecture qu'apposait son frère sur les cartes.”
Par ailleurs, les archives d’Eure-et-Loir conservent une dénonciation à son encontre. Sur un courrier à l’enseigne du “Franciste (”Qui vive ? France !”), on peut lire : “Monsieur le Préfet, notre attention a été attiré à plusieurs reprises par des habitants de Chartres sur l’activité d’un sieur Altenburger, domicilié à Lèves par Chartres. Son nom a paru dans l’Officiel comme membre de la Grande Loge. Employé avant la guerre dans les services de la Préfecture d’Eure-et-Loir, il serait maintenant “casé” dans les bureaux de la Caisse des Assurances Sociales, rue des Vieux Capucins à Chartres. Son zèle étant des plus néfastes, disent nos camarades, nous nous faisons un devoir de signaler ce cas à votre particulière attention. Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, etc.” Heureusement sans conséquences.
S'agissant de sa participation à la Résistance active en 1944, il convient de se référer à l'incontournable ouvrage de Roger Joly, La Libération de Chartres (Le Cherche-Midi, 1994).
Natacha Bernard-Peyre (arrière-petite nièce d’Alten)