C'est un film suisse, d'Elie Grappe, diffusé en 2021 dans le flux de l'après-confinement, qui était passé trop vite. Lundi soir, 23 mai, l'association AERESP  et celle des Ukrainiens de Chartres l'avaient mis à leur programme. Comme elles ont bien fait !

On est dans une voiture, de nuit. Mère et fille discutent vivement, longeant des immeubles en construction ; c'est le sujet de prédilection de la conductrice, journaliste, qui enquête sur l'affairisme immobilier. On n'est pas à Chartres ; c'est  à Kiev, sous le règne du président installé par le Kremlin, Ianoukovitch, qui fuira au moment de la révolte de Maïdan, à l'hiver 2003. Le véhicule est soudain heurté violemment, une mise en garde anonyme.

Tandis que la fille, Olga, gymnaste, part pour la Suisse, où elle doit préparer un championnat européen, la mère s'implique dans le soulèvement. La fiction alterne alors avec les séquences d'actualités, qui montrent le chaos inhérent à toute révolte en régime dictatorial. En pépinière européenne, Olga s'entraîne, opiniâtre,  perfectionne ses sauts millimétrés et autres virevoltes périlleuses, au prix de chutes et accidents spectaculaires, jusqu'au couronnement sur le podium, contre quelques jalousies, contre l'ancien entraîneur, passé  du côté des Russes. Une candidate amie, originaire du Kazakhstan, crie, reprenant son impeccable équilibre après un salto enlevé,« Ukraine libre ! ». Kiev, pendant ce temps, conquiert sa liberté, au milieu des morts et des dévastations.

Réalisé en 2019, ce film prend aujourd'hui toute sa signification. La gymnaste incarne parfaitement l'esprit farouche de lutte qui anime l'Ukraine sous le joug russe, et aujourd'hui punie pour sa volonté de s'affranchir. Au-delà du parcours initiatique d'une jeune fille, on voit clairement  la signification politique et civilisationnelle de ce destin. De retour à Kiev, quelques années plus tard, on voit Olga former des gymnastes en herbe ; juste avant que commence le cauchemar.

Le cinéaste avait sûrement à coeur de célébrer une victoire, celle de la démocratie aux couleurs européennes. A la lumière de l'assaut actuel que subit l'Ukraine, d'une brutalité et d'une cruauté indépassées, il dessine une ligne de conduite qui a commencé voici vingt ans : les athlètes figurent la cohésion et la résolution inébranlable de ce peuple. L'Europe elle-même est représentée : confortable, bienveillante, et un peu lâche.

Si ce dernier qualificatif vous paraît dur et injuste, j'en propose un autre : « indifférente ». Si les peuples d'Europe étaient en ce moment concernés par l'agression que subit l'Ukraine, du fait de la détestation que W. Poutine a des humains (1), ils seraient dans les rues en permanence, ils réclameraient la neutralisation de ce monstre, auquel ses militaires servent bombardements, viols et massacres, comme auparavant au Kazakhstan, en Syrie, en Tchétchénie. Peut-on exiger des Russes qu'ils sortent dans les rues, à leurs grands risques et périls, pour protester contre une guerre qu'il ne faut pas nommer chez eux si, dans la partie occidentale, où elle fait l'objet de toutes les analyses les plus pertinentes, personne ne réagit, vaque à ses divertissements comme si de rien n'était ?

Chantal Vinet

(1) Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Anna Politkovskaïa, reporter qui l'a payé de sa vie, en 2006.
(2) Pour tout savoir et approfondir :  site Desk Russie, de Nicolas Tenzer.
https://desk-russie.eu/