A l’heure où Emmanuel Macron annonce une aide substantielle à l’industrie nucléaire, l’essai de Sezin Topçu nous permet d’avoir un avis sérieux et documenté sur cette technologie « décarbonée ».

Une industrie nucléaire sous haute protection

L’auteure fait l’historique très détaillé de la construction du parc nucléaire français et du mouvement antinucléaire qui l’a accompagné. Si dans les années 70 la contestation était forte, les promoteurs de l’industrie nucléaire ont rapidement déployé tous les moyens possibles pour réduire l’impact de cette remise en cause. Les écologistes ont été caricaturés en chevelus-barbus, partisans du retour à la bougie, tandis que de coûteuses campagnes d’information faisaient la promotion d’une énergie moderne, abondante, bon marché et garante de notre indépendance énergétique. Les rassemblements antinucléaires sont victimes d’une répression policière qui réduit rapidement la participation des opposants, surtout après la manifestation contre la centrale de Creys-Malville où une centaine de manifestants ont été blessés et où l’un d’eux a trouvé la mort.

L’avènement du « tout nucléaire »

En 1981, l’arrivée des socialistes au pouvoir et l’abandon du projet de centrale à Plogoff désamorce fortement la contestation. En fait, en mettant en place une politique du « tout nucléaire », ils n’hésitent pas à trahir leur électorat écologiste. La catastrophe de Tchernobyl en 1986 sera l’occasion de confirmer le parti-pris pronucléaire du gouvernement dont les services prétendent que le nuage radioactif n’a pas franchi nos frontières. Les dirigeants de la filière nucléaire affirmeront dans tous les médias que ce type d’accident est impossible en France, qu’il est la conséquence d’un manque de compétence des techniciens soviétiques. Lors des explosions des réacteurs de Fukushima en 2011 un argument semblable est avancé : « C’est impossible chez nous, un tsunami est improbable sur nos côtes. ». Le lobby nucléaire face à la concurrence des énergies renouvelables, développe une publicité abondante vantant la fourniture d’une électricité continue, peu chère, zéro carbone et sûre, sous la haute surveillance de l’ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) et les déchets sont entreposés sous bonne garde et sans danger. Cette énergie assurerait à la France son indépendance énergétique.

De leur côté, les antinucléaires dénoncent une technologie gaspilleuse d’énergie, de plus en plus coûteuse : le prix de l’uranium a augmenté de 50% et le « grand carénage » destiné à prolonger la durée des réacteurs est estimé à 48 milliards*. Une énergie pas vraiment décarbonée si l’on prend en compte l’extraction du minerai, le transport (eh oui, nous importons ce minerai : bonjour la dépendance énergétique !) et la transformation de l’uranium. Quant à la sûreté des centrales, on peut craindre que les sous-traitants qui assurent la maintenance manquent parfois de formation. Pour finir, la surveillance des sites échappe trop souvent à l’ASN : deux associations indépendantes, l’ACRO et la CRIIRAD détectent régulièrement des rejets anormaux aux abords des centrales, dans le lit des rivières et dans l’air à proximité des sites nucléaires.

Les antinucléaires bâillonnés

Le lobby nucléaire est tellement puissant en France qu’il bénéficie du soutien de tous les gouvernements depuis de Gaulle jusqu’à Macron. Les militants antinucléaires sont systématiquement surveillés, toute manifestation est maintenant interdite, les organisateurs accusés d’atteinte à l’ordre public et condamnés à de fortes amendes avec séjour en garde à vue. Les militants de Greenpeace et du Réseau Sortir du Nucléaire en sont les principales victimes. Le dernier chapitre concerne les conditions des travailleurs sur les sites d’extraction du minerai au Niger. On constate que la santé des ouvriers y est gravement mise en danger, que l’eau potable est contaminée et que toute expression ou revendication de la part des syndicalistes est empêchée ainsi que la communication de ces informations dérangeantes à l’international.

La situation actuelle

Malgré tout cela, le gouvernement actuel soutient toujours la construction de l’EPR de Flamanville qui devait être réalisé en 4 ans et le sera finalement en 15 ans, entraînant un surcoût six fois supérieur au devis initial ! Le plan de relance oriente également la recherche sur les petits réacteurs… ** Avec l’essor et l’engouement pour la watture, les scooters et les trottinettes électriques et l’absence totale de politique de réduction de la consommation d’énergie, on peut prévoir une France suréquipée en centrales nucléaires, barrages hydroélectriques, éoliennes, capteurs photovoltaïques et méthaniseurs, la surconsommation peut continuer, mais jusqu’à quand ?

Un essai éclairant, plein d’informations souvent tenues secrètes, un ouvrage intéressant et captivant pour qui a un peu de curiosité pour ce sujet.

DC

Sezin Topçu, La France nucléaire, l’art de gouverner une technologie contestée, éditions du Seuil 2013, 334 pages, 21 euros. Sezin Topçu est historienne et sociologue des sciences, chargée de recherche au CNRS.

* EDF réajuste le coût du programme Grand Carénage | EDF France

** Le Canard enchaîné du 13 octobre 2021.