Permis de construire ou d’abattage d’arbres délivré ne signifie pas automatiquement projet assuré. À Chartres, l’histoire récente le prouve.

Il y a eu le projet de la Courtille suspendu par la justice pour sauvegarder des trois marronniers centenaires, le projet de la rue des Petites-Filles-Dieu, suspendu par la justice en raison de la protection des chauves-souris et des risques liés aux anciennes carrières, le projet Sentier du Clos vert, qui aurait fait disparaître une forêt urbaine par méconnaissance de l’application d’une Orientation d’Aménagement et de Programmation du Plan local d'urbanisme (PLU), retiré.

Une nouvelle étape a été franchie le mois dernier, inédite à Chartres : l’annulation totale par la justice d’un permis de construire rue Chauveau-Lagarde. En moins d’un an, ce ne sont pas moins de quatre projets très denses et destructeurs de biodiversité et de nos paysages qui ont été stoppés. Ces projets immobiliers ont tous un point commun : ils ont été préalablement autorisés par décision du maire, Monsieur Gorges, ou, par délégation, de son adjointe à l’urbanisme, Madame Dorange.

Projet Chauveau-Lagarde, de quoi parle-t-on ?
Par un arrêté du 6 octobre 2021, le maire de Chartres a délivré à la SCCV Renaissance un permis de construire un ensemble immobilier de 22 logements collectifs et 46 places de parking souterrain, 29 bis rue Chauveau-Lagarde à Chartres.

Plusieurs voisins ont porté un recours gracieux contre cet arrêté, recours qui a été rejeté par le maire de Chartres le 20 janvier 2022. Les requérants (les voisins) ont alors déposé un recours contentieux auprès du tribunal administratif d’Orléans demandant l’annulation du permis de construire. Il faut dire qu’un immeuble de cinq étages au milieu d'une rue bordée de maisons individuelles avec une densité de 22 logements sur un terrain de 701 m² faisait un peu tache ! Mais pourtant, le maire de Chartres a accordé le permis de construire…

La justice ne l’a pas entendu de cette manière. Extrait du jugement rendu public le 23 février 2023 :
« Il ressort des pièces du dossier que le secteur d’implantation du projet, classé en zone urbaine, est essentiellement pavillonnaire dans la rue Chauveau-Lagarde et se trouve à proximité immédiate de plusieurs maisons protégées au titre du PLU. Si ce secteur comporte également des ensembles d’habitation dans les rues voisines, leur aspect massif est limité du fait que ces logements se situent, pour les plus imposants d’entre eux, en retrait des voies et qu’un écran végétal est implanté entre les bâtiments et ces dernières. […] Le remplacement du pavillon existant par le projet de bâtiment de logements collectifs, présente un aspect particulièrement massif du fait de sa hauteur et de son volume. […] Dans ces conditions, le projet est de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants. Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R111-27 du Code de l’urbanisme doit donc être accueilli. »
« Les vices tenant à la méconnaissance des articles R.111-27* du Code de l’urbanisme n’affectent pas une partie du bâtiment, mais sa conception même. Il y a lieu de procéder à l’annulation totale de l’arrêté du 6 octobre 2021 par lequel le maire de Chartres a délivré un permis de construire à la SCCV Renaissance. »

Le jugement est on ne peut plus clair : la construction est trop massive et ne s’insère pas dans son environnement. Il s’agit d’un problème de fond qui nécessite l’annulation totale du permis de construire. Une première à Chartres qui pourrait faire jurisprudence localement au regard de nombreux autres projets de bétonisation totale.

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Article R111-27 du Code de l’urbanisme : « Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. »
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L’indéfendable ligne de défense des élus de la majorité.
Monsieur Gorges et Madame Dorange étaient sur la défensive lors du dernier conseil municipal du jeudi 9 mars 2023. Il semblerait que l’annulation du permis de construire de la rue du 29bis rue Chauveau-Lagarde par le tribunal administratif d’Orléans leur soit resté en travers. Comme en commission, le sujet est abordé par eux-mêmes sans avoir besoin de leur en parler.

Fait rare, le maire a annoncé qu’il ne ferait pas appel de la décision de justice : « Ce projet, ça n’a pas de sens. Mais au niveau permis de construire, vous ne pouvez pas l’arrêter. On ne fera pas appel, et d’ailleurs, on est content que les voisins aient fait un recours ».

Entendre ces arguments après coup, c’est un peu facile. Si le maire ne voulait pas de ce projet :
• pourquoi a-t-il été délivré ?
• pourquoi ne pas simplement avoir donné suite au recours gracieux ? il est justement fait pour corriger une erreur d'appréciation sans frais…
• pourquoi rémunérer un avocat (aux frais des contribuables chartrains) pour défendre la ville dans le recours contentieux contre le permis de construire accordé ?

Madame Dorange a enchaîné en conseil municipal :
« Je ne peux pas m’opposer à un permis lorsque le promoteur dépose conformément au règlement du PLU, et vous savez bien que les insertions [du projet architectural dans l’environnement proche], c’est deux maximum. On peut en exiger 4 ou 5, s’il ne les met pas ce n’est pas un motif de refus ».

C'est FAUX ! Lorsqu’une demande de permis de construire est incomplète, la ville ne peut pas instruire le dossier. Elle doit donc demander des compléments obligatoires et refuser le projet tant que le dossier n’est pas complet. Le contenu d’un dossier de permis de construire est défini aux articles R431-5 à 12 du Code de l’urbanisme, et comprend notamment le plan des façades et des toitures, ainsi qu’un document graphique permettant d’apprécier l’insertion du projet par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages.

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Article R*431-10 du code de l’urbanisme. Le projet architectural comprend également :
a) Le plan des façades et des toitures
b) Un plan en coupe précisant l'implantation de la construction par rapport au profil du terrain ; lorsque les travaux ont pour effet de modifier le profil du terrain, ce plan fait apparaître l'état initial et l'état futur ;
c) Un document graphique permettant d'apprécier l'insertion du projet de construction par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et du terrain ;
d) Deux documents photographiques permettant de situer le terrain respectivement dans l'environnement proche et, sauf si le demandeur justifie qu'aucune photographie de loin n'est possible, dans le paysage lointain. Les points et les angles des prises de vue sont reportés sur le plan de situation et le plan de masse.
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Une révision indispensable du PLU de Chartres.
Le PLU est le document réglementaire qui fixe les règles de construction quartier par quartier, dans la ville. C’est à partir de ce document que tout projet est instruit et que les autorisations d’urbanismes sont délivrées ou refusées. Au-delà de la question des façades ou de la mauvaise insertion architecturale dans l’environnement, le problème du PLU de Chartres, document local rédigé et voté par les élus de l’équipe Gorges en 2015, est qu’il permet une bétonnisation trop importante et trop rapide dans tous les quartiers de notre ville :

• les hauteurs maximales autorisées par le PLU sont très hautes,
• l’emprise au sol maximale autorisée par le PLU est très élevée,
• la part de la parcelle à conserver en espace de vrai jardin est nulle.

Aucune règle de véritable pleine terre n’est fixée par le PLU, mais un substitut appelé artificiellement « espace vert ». C’est-à-dire qu’un projet peut stériliser intégralement une parcelle : une dalle de béton saupoudrée de quelques centimètres de terre est ainsi nommé « espace vert » dans ce PLU. Une honte qui permet une surdensité et d’inacceptables projets.

La lecture du PLU de Chartres reflète la politique voulue par l’équipe du Maire en place : dérouler le tapis rouge aux promoteurs immobiliers. La liberté de construction est maximale. Et tant pis pour les quartiers apaisés. Tant pis pour la nature en ville. Tant pis pour les pavillons démolis. La diversité et la qualité du patrimoine bâti qui fait la poésie de Chartres disparaît à vitesse accélérée sous un sarcophage de béton. Uniformisation des projets. 800 logements accordés chaque année depuis 2017 ! À quel prix ?

Conclusion
Chers Chartraines, chers Chartrains, lorsqu’un projet de construction destructeur de votre cadre de vie est affiché dans votre quartier, ne perdez pas espoir. Bien au contraire. Lorsqu’un projet, comme celui de la rue Chauveau-Lagarde, « particulièrement massif du fait de sa hauteur et de son volume est de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants », son permis de construire peut être annulé par le tribunal administratif.

Les autres points communs à tous ces projets annulés ou suspendus :
• une mobilisation des riverains suffisamment tôt après l’affichage du permis,
• un travail d’échange, de conseil et un accompagnement bénévole des membres de l’association Chartres Écologie et de l’Association de Défense de l’Environnement de l’Agglomération Chartraine (ADEAC), pour défendre l’intérêt général.

Enfin, et pour reprendre les termes de Madame Dorange lors du conseil municipal du 9 mars, lorsque l'on exige de réviser le PLU : « Une révision générale du PLU, c’est cinq années de travail », « ça coûte beaucoup d’argent ».

C'est FAUX ! Il faudra environ deux ans, et un montant inférieur à 0,5% du budget d’investissement annuel de la ville de Chartres, pour un document stratégique de planification urbaine qui s’appliquera durant plus d’un mandat. C’est un choix politique. Dans le domaine de l’urbanisme, n’est pas expert qui veut.

Olivier Maupu, urbaniste, conseiller municipal Chartres Écologie.

Illustration : la maison récemment détruite par le promoteur immobilier, avec le soutien de la municiplaité gorgienne, avant la décision d'annulation du permis de contruire par le tribunal administratif d'Orléans...