Avec Mes fragiles, Jérôme Garcin nous propose son livre le plus fort, le plus intime et le plus émouvant. Lorsque la mort enveloppe nos existences d’un voile de fin du monde, la vie n’a plus le même goût. Notre vision rétrécit et les nombreuses interrogations remontent de notre inconscient comme des bulles. L’absence des êtres chers nous transforme en désert.
Dans un ouvrage magnifiquement écrit, Jérôme Garcin revient sur la disparition de sa mère et, quelques mois plus tard, sur celle de son frère Laurent. Dans la famille Garcin, la faucheuse avait déjà sévi dans les années soixante. Le frère jumeau de Jérôme a été renversé par une auto et n’a pas réchappé à cet accident. Plus de dix ans plus tard, son père meurt lui aussi, laissant une famille dans le désarroi.
Avec des mots choisis et beaucoup d’humanité, le romancier revient sur la vie de son jeune frère Laurent qui montre des signes de bizarrerie. Peintre à ses heures, Laurent et sa maman vivent ensemble. Jérôme Garcin ne lâche pas d’une semelle sa maman et ce frère pas comme les autres. Grâce à un médecin et une étude génétique, il apprend que son frère est atteint d’une maladie rare : le syndrome de l’X fragile. Prenant du poids avec un diabète à surveiller, Laurent vit dans son monde. Du côté de la maman, rien ne va plus. « Et puis un jour maman a cessé de danser. C’était à l’approche de ses quatre-vingts ans. »
Accompagnant cette longue descente vers la mort d’un être aimé, Jérôme Garcin repense à la vie d’une mère qui tire doucement sa révérence. Fervente croyante, elle a fréquenté l’église Saint Séverin avec un autre grand croyant Michael Lonsdale. Lorsque l’inéluctable arrive, Jérôme Garcin se préoccupe de son frère Laurent, orphelin. Le moyen pour le sortir de l’inconsolable demeure sa passion pour la peinture. Mais atteint du covid, Laurent ne se remettra pas des lourds soins apportés à ceux qui sont en surpoids. Il meurt six mois après sa mère.
Jérôme Garcin s’interroge sur ce décès qui peut ressembler à une délivrance : « Peut-être sa fragilité aurait-elle eu raison de la mienne. Mais Laurent ne m’a pas donné cette peine. Il m’a épargné. Il m’a affranchi. Lui le corpulent s’est coulé avec une souplesse de djinn dans mesrêves et ma mémoire. Il n’a plus pesé. »
Quant à la mort, Jérôme Garcin avance cette belle phrase : « Mais plus le temps passe et plus je crois à la présence des morts. Ils sont là. Leur âme demeure, plane et s’obstine. Ils s’annoncent souvent entre chien et loup dans une lumière tamisée (...) ».
Pascal Hébert
Mes fragiles, de Jérôme Garcin, éditions Gallimard, 103 pages.
Photographie Francesca Mantovani.