Avant de s'interroger sur Attys Luna Vega Valdes, lisons quelques lignes d'un article signé de sa main, "La gusana et les colons de l'histoire cubaine" :

"Le 11 juillet 2021, le peuple cubain s'est soulevé, hurlant massivement pour la première fois "Liberté", "Patrie et vie", "A bas la dictature"...Le peuple est dehors, il hurle et ose dire ce qu'il pense au péril de sa vie. Des années durant, ces colons ont accusé le bloc étatsunien d'être la cause de tous leurs maux, prenant le soin de mettre sous cloche une vérité moins observable et observée : le blocus que la dictature cubaine a prescrit à son propre peuple."

Et d'ajouter pour que tout soit clair : "La dictature a censuré des films, des livres et des journaux... Dans les fermes, les superviseurs cubains ont été remplacés de force par des superviseurs soviétiques et des dirigeants idéologiques... La dictature a instauré des travaux forcés, enfermant les homosexuels dans le but de les convertir en de "vrais hommes"...La majorité du peuple cubain a simulé pour vivre."

Ces paroles fortes émanent d'une jeune femme d'une trentaine d'années, franco-cubaine, qui a présenté son film "Ceiba, mémoires d'une famille cubaine", à la Maison de l'Amérique Latine à Paris (avec dans la salle émue, sa mère émue elle aussi, l'écrivaine cubaine mondialement connue Zoé Valdes).

Le film a été sélectionné pour le "Festival international de documentaires" de Thessalonique, dans la section "Open horizons" (excellent accueil de l'oeuvre), et pour le "Festival Mondes en vues, des droits humains" en Guadeloupe, en octobre. D'autres festivals sont pressentis. Et sont aussi envisagées des projections à Miami, USA.

Attys Luna Vega Valdes voue une véritable vénération à Celia Cruz et à Nathy Peluso et compose elle-même. On peut d'ailleurs voir sur le Net son clip "Mémé", qui comme son nom l'indique, est une véritable ode à sa grand-mère : "Mémé a la gueule d'un cigare, la peau fripée comme la feuille noire"...En 2019, elle avait obtenu le "Lion d'or Jeune Talent " des "Premios latino" à Marbella, pour la sortie de son premier EP de rap, intitulé "Perra".

Ses études l'ont conduite à l'Université de Paris III section cinéma, à l'Université catholique de Valparaiso. Actuellement, elle suit un "master réalisation et création"à Paris VIII, où elle écrit un court métrage de fiction "Slam".

Dans son puzzle personnel, on peut noter qu'elle est également co-directrice artistique du "Collectif La Houle " ("les petites vagues font émerger la grande vague", dit-elle). Elle est assistante à la mise en scène de Juana Tupper pour la pièce "Je suis douce" (qui mélange danse, théâtre et performance).

"Ceiba", c'est le titre de son premier film qui a pris cinq ans de la vie de son auteure. "Tout est parti de contes afro-cubains : Ceiba, c'est l'arbre qui permet de relier le ciel et la terre ; les hommes conscients se réunissent sous la Ceiba pour parler de la dysharmonie du monde et envoyer au ciel le message terrestre, pour créer de l'harmonie et pour créer de l'équilibre."

Le film retrace les mémoires d'une famille cubaine, la propre famille de la réalisatrice, sur trois générations, ses grands parents, ses parents et la sienne. Quand elle avait un an, presque deux, ses parents ont choisi l'exil, non seulement opposants au régime communiste,mais encore parce que sa mère, Zoé Valdes, écrivaine, décida de raconter dans ses livres, la réalité du quotidien, de son quotidien, ce qui intéressa naturellement la presse étrangère, les milieux intellectuels, les lecteurs, tout un chacun.

Le montage du film a été effectué par le propre père de Attys Luna, Ricardo Vega, rélisateur reconnu (on se rappellera son "Fiel Castro" en 2009). Ricardo Vega a été "un véritable pilier" pour sa fille.

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L'affiche du film est forte : une femme, son ventre nu de femme enceinte, exhibant une peinture d'un arbre enraciné (la Ceiba), dont la frondaison renferme une carte stylisée de l'île de Cuba. La deuxième affiche représente la mère de la réalisatrice qui porte son bébé regardant la mer sur le Malecon, le front de mer de la Havane.

Les archives sont largement familiales, paternelles (conservées pour sa fille partie de Cuba à deux ans). Attys Luna a voulu ajouter des éléments de reportage très personnels. Les images traversent l'histoire de Cuba au XXème siècle. Et l'émotion est toujours présente, dès l'ouverture du film, avec Zoé Valdes qui s'adresse face caméra au spectateur. Avec ce grand-père face caméra, lui aussi, qui nous rappelle ces exilés de Miami qui ne se sont jamais remis de leur exil forcé ("souffrance, combat, lutte, nostalgie" de l'exil).

Les Balseros qui tentent, au mépris de leur vie, la courte traversée vers les USA, ne laissent pas indifférents, cela va de soi. En voyant les malheurs des vieux Cubains et de la jeunesse actuelle, désabusée mais désireuse de vivre, on ne peut qu'être interpellé...

Jon Alpert, journaliste indépendant avait réalisé un film sorti en 2017 : "Cuba and the cameraman". Ce film présentait trois familles cubaines sur quatre décennies et le télescopage de leur vie quotidienne et de l'histoire avec un grand "H", l'embargo américain sur la Cuba communiste, la crise des missiles soviétiques installés à Cuba, la période spéciale à la fin de l'URSS qui tenait l'île à bout de bras , la santé et l'école gratuites, conquête de la Cuba castriste. Aujourd'hui, "Ceiba, mémoires d'une famille cubaine" devient indispensable à qui veut comprendre Cuba, sa jeunesse, ses espoirs d'avenir.

"La réalité cubaine, c'est la misère. Ce n'est pas seulement la misère économique, c'est aussi la misère sociale. Il faut lutter, même si on a du mal à voir le positif, se donner du courage en faisant des films, de la musique, de l'art, mais aussi lutter concrètement comme le font les "Damas de blanco" ou ceux qui se sont révoltés le 11 juillet 2021" : propos signés Attys Luna Vega Valdes, dont l'amateur de cinéma espère aussi une nouvelle réalisation à partir d'un livre de sa mère Le paradis du néant.

Alain Roumestand