Avec 31% du territoire français couvert par la forêt et l’attrait important de nos contemporains pour les arbres et leurs bienfaits, on pourrait penser que la filière bois se porte bien. C’est tout le contraire que nous démontre Gaspard d’Allens dans ce petit essai très documenté, il examine les forêts sous tous leurs aspects : économiques, sociaux et écologiques.

L’économie est une contrainte majeure depuis les années 1980, les gouvernements, à travers l’ONF (Office National des Forêts) ont mis en place un système de monoculture industrielle de production de bois à croissance rapide pour des raisons essentielles de rentabilité. On procède ainsi par des coupes rases puis des plantations de résineux qui seront coupés en pleine jeunesse à 35 ans à l’aide de puissantes machines : les abatteuses de plus de 22 tonnes.

En aval, les petites scieries disparaissent pour céder la place à d’énormes scieries-usines très mécanisées, employant beaucoup moins de personnel. L’auteur déplore la dégradation des conditions de travail des bucherons, poussés à adopter un statut d’autoentrepreneur mis en concurrence avec la main d’oeuvre étrangère des pays de l’Est. A l’ONF on compte une cinquantaine de suicides en quinze ans. La filière bois enregistre un déficit commercial de 12%, car une grande partie du bois d’oeuvre est exporté à bas prix vers la Chine, tandis qu’en retour, nous importons au prix fort des meubles et du parquet. Même le label PEFC (Programme Européen de Forêts Certifiées) ne recueille pas la bénédiction de l’auteur, qui constate de nombreux écarts facilités par de très rares contrôles.

Sur le plan écologique, les conséquences de cette politique de privatisation, d’industrialisation et de monoculture sont catastrophiques. Cette monoculture entraîne une réduction de la biodiversité, une fragilisation des arbres face aux maladies et attaques des insectes, tandis que le sol s’appauvrit. Pour faciliter la croissance des jeunes plants, on pulvérise du glyphosate entraînant au passage la mortalité des abeilles dans les ruches installées à proximité. Par ailleurs, notre pays démarre un programme de centrales électriques utilisant la biomasse, c’est-à-dire le bois. Mais des centrales, comme celle de Gardanne, ont besoin de fortes quantité de bois pour l’alimenter, d’où des coupes rases excessives dans la région. Pour des raisons de coût avantageux, on a été jusqu’à faire venir par bateaux puis camions, du bois provenant du Canada et du Brésil avec le bilan carbone que l’on imagine !

Gaspard d’Allens cite Ernst Schumacher, économiste populaire, pour son ouvrage « Small is beautiful », et suggère une autre transition avec des petites chaufferies approvisionnées localement, et de se tourner vers des plantations de futaies irrégulières faites de mélange d’essences et d’âges. Les bucherons devraient retrouver un véritable travail de spécialiste, les scieries et les petites menuiseries pourraient survivre à la concurrence d’Ikéa.

L’auteur journaliste et essayiste a rencontré quantité de personnes autour de ce sujet pour écrire cet ouvrage, dont les militants écologistes opposés au Center-Park dans la forêt de Roybon. Leur slogan : « Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend. »

C’est un petit ouvrage qui fait vraiment le tour du problème de la surexploitation de la forêt et de ses conséquences, un sujet passionnant !

Main basse sur nos forêts, Gaspard d’Allens, Reporterre 2019, 164 pages, 12 euros.

Denys Calu