Cactus publie ci-dessous une contribution portant sur le projet autoroutier A154-A120 en Eure-et-Loir. Elle analyse les propos du ministre des Transports Clément Beaune sur l'opportunité de maintenir ce type de projet au regard des enjeux climatiques actuels et futurs.
Le projet autoroutier A154–A120 en Eure-et-Loir - des ministres, des impacts environnementaux et des doléances des communes
Le ministre des Transports
La montée en puissance de la contestation des projets autoroutiers en France va-t-elle amener les politiques à revoir l’anachronique décision de l’ancien Premier ministre, Jean Castex, de relancer l’économie du bitume et de l’artificialisation ?
Depuis quelques semaines, Clément Beaune, ministre des Transports, sème de petits cailloux laissant espérer une vraie remise en question de la poursuite du « tout autoroute » en France.
Bref retour en arrière, depuis le début de l’année 2023 :
Le 25 février, au cours de l’émission « On n’arrête pas l’éco » sur France Inter, le ministre des Transports assurait vouloir réinterroger tous les projets autoroutiers.
Extraits de son intervention :
« Par exemple, entre deux métropoles, je préfère qu'on mette un train »
Entre Rouen et Orléans, liaison prétexte du projet A154-A120, il faudrait donc privilégier le train à l’autoroute, a-t-on bien compris ?
« On va réfléchir ensemble à des projets de transports publics ou de routes plus petites, parfois de quelques aménagements ou contournements, qui améliorent la vie quotidienne mais qui ne sont pas des éléphants blancs ou des grands projets qui vont coûter cher ».
D’après une célèbre encyclopédie en ligne, un éléphant blanc est « une réalisation d’envergure prestigieuse qui s’avère en définitive plus coûteuse que bénéfique et dont l’exploitation ou l’entretien devient alors un fardeau financier ». En l’espèce, cela semble bien correspondre à de vieux projets autoroutiers, plusieurs fois reportés et fortement contestés, dont l’utilité finie par être remise en question du fait de leur anachronisme.
« Si on veut la transition écologique, c’est plus de trains, plus de transports en commun, un peu de routier, mais pas forcément les grands projets du passé ».
Donc, ceux que Jean Castex a relancés fin 2021, offrant alors un cadeau de Noël empoisonné aux fans de bitume !?
Le ministre de l’Economie
En parallèle, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a demandé au Conseil d’Etat de trouver un moyen juridique permettant de raccourcir de quelques années la durée de certaines concessions autoroutières.
Le 22 mars, il reconnait même devant les commissions des Finances et du Développement durable de l'Assemblée nationale, que les calculs de rentabilité faits par l’Etat (merci D. de Villepin !) en 2006 en prévision de la privatisation des autoroutes, n’avaient pas été bons.
En guise d’excuse, le ministre de l’Economie avance un petit « nous nous sommes trompés ». Ce qui explique la sur-rentabilité des concessions autoroutières contractualisées avec Vinci, Eiffage et autres Abertis, sociétés très rentables, aujourd’hui candidates à la construction des nouveaux projets autoroutiers lancés par le même Etat !
Vraie prise de conscience tardive d’un problème connu ?
Grâce au Canard enchaîné (25 janvier), le grand public était déjà informé de l’exceptionnelle rente que représentent les concessions autoroutières pour les sociétés qui les exploitent. Parole de Canard ? Non, plutôt celle de l’Inspection Générale des Finances (IGF), dans une étude commandée par Bruno Le Maire et scrupuleusement non divulguée depuis février 2021. Dans la conclusion de ce rapport nommé Le modèle économique des sociétés concessionnaires d’autoroutes, on peut lire que les sociétés autoroutières connaissent « une rentabilité très supérieure à l’attendu », un constat qui « va à l’encontre du principe de rémunération raisonnable ». Trois pistes sont courageusement proposées par les auteurs du rapport pour renverser la situation : réduire de 60 % le coût des péages, taxer fortement les « surprofits » des sociétés, imposer une fin anticipée des concessions.
Le Ministre des Transports, à nouveau
Le 24 avril 2023, Clément Beaune repart à l’attaque, sur France Info : « Il est clair qu’on va réduire la part des projets routiers. Il y en aura moins pour donner une priorité assumée aux transports publics et aux transports ferroviaires. » et d’ajouter « La réponse sur tous les projets routiers arrivera d’ici le début de l’été ».
Le message est clair, les projets autoroutiers sont en cours de réexamen. L’analyse du ministère tiendra compte des enjeux actuels :
- la lutte contre l’artificialisation des terres,
- la réduction des émissions de CO2,
- l’aménagement ou le désenclavement des territoires
- le coût des projets.
On aurait pu ajouter : la préservation de la ressource en eau, la santé des riverains, la protection des espaces naturels, la sanctuarisation des terres agricoles.
Le 5 mai dernier, enfin, l’estocade est portée - cette fois sur Europe 1 - toujours par Clément Beaune, qui annonce : « des projets autoroutiers seront abandonnés s’ils ne correspondent plus aux besoins environnementaux ».
Sans plus de détail, on apprend au passage qu’une dizaine de projets autoroutiers sont à revoir ou à abandonner.
Se pose alors la question : parmi les projets de construction d’autoroutes en France, quels projets pourraient ainsi être remis en cause par le ministère ? Sachant que parmi les 55 projets routiers (chiffre de 2022) recensés par les collectifs nationaux qui s’y opposent, dont La Déroute des Routes, trois des principaux projets autoroutiers sont aussi parmi les plus avancés et les plus contestés sur le terrain : A69 (liaison Castres – Toulouse), A133–A134 (contournement est de Rouen) et A154–A120 (liaison Orléans – Rouen).
Le maintien de l’A69, dont certains travaux préparatoires ont commencé, a d’ores et déjà été annoncé par le ministre. S’en est suivi une formidable et pacifique mobilisation d’opposants dans le Tarn, les 21 et 22 avril dernier.
On ne le répétera jamais assez, les projets A133-A134 et A154-A120 constituent en fait un seul et même dessein. Présenté parfois comme le grand contournement permettant de désengorger Paris (éludant ainsi l’existence de l’A28 qui relie Tours à Rouen) ou le chaînon manquant entre le nord et le sud de la France. Pourtant - même sans cette autoroute - le très favorisé fret routier a explosé ces dernières décennies au détriment du transport ferroviaire !
Les impacts d’un projet autoroutier
On est donc en droit de se demander : en quoi les « besoins environnementaux » de ces deux projets pourraient permettre au ministère des transports de proposer leur réexamen en profondeur, voire leur abandon ?
Pour le contournement Est de Rouen, on laissera nos amis normands du collectif Non A133-A134 le soin de répondre à la question, mais le festival des bâtons dans les routes, organisé du 5 au 8 mai à Léry, a montré clairement que le projet est inacceptable du point de vue environnemental, justement.
Concernant le projet A154-A120, dont la DUP remonte à juillet 2018, il est évident que la donne a totalement changé depuis le temps des premières études, dans les années 2000, qui ont été suivies par l’étude d’impact puis l’enquête publique entre 2016 et 2017. Le fond de la contestation reste le même depuis le début :
- le projet retenu s’appuie sur la privatisation d’importantes portions déjà aménagées en 2x2 voies gratuites de la RN154, y compris les contournements routiers de communes.
- le choix du contournement de Chartres par l’Est plutôt que par l’ouest (remis en cause par le commissaire enquêteur et l’avis de l’autorité environnementales) est le plus mauvais sur le plan humain – car il crée une autoroute périurbaine – et environnemental (construction d’un viaduc à travers la vallée de l’Eure).
- les solutions proposées pour Dreux vont créer une autoroute urbaine (A120) et impacter fortement l’environnement à l’ouest de l’agglomération tout en nécessitant la construction de trois viaducs (l’Avre à Nonancourt, la Blaise à Dreux et à Garnay).
- le projet de la DREAL prévoit l’artificialisation de 660 hectares de parcelles naturelles, principalement exploitées en agriculture ou bien constituées de forêts et de zones humides, dont la compensation est impossible.
- Les collectivités locales vont devoir contribuer à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros pour financer la moitié des 55 millions de la subvention d’équilibre promise par l’Etat au futur concessionnaire. Aux dernières nouvelles, le montant serait déjà revu à la hausse pour atteindre 70 millions. Selon le scénario retenu par l’Etat, il pourrait monter à plus de 300 millions d’euros.
Les impacts directs de la construction de l’autoroute A154-A120 sont censés être connus, pour avoir été étudiés de manière « plus-que-parfaite » par la DREAL. On oublie généralement de mettre dans la balance des coûts environnementaux le poids des impacts indirects, qui escortent systématiquement la construction d’une autoroute.
Alléchées par la perspective d’un développement économique dopé aux camions et aux entreprises logistiques, les collectivités soutenant l’autoroute ont planifié depuis des années la construction de nouvelles zones d’Activités, accélérant ainsi les perspectives d’artificialisation de terres agricoles dans le département d’Eure-et-Loir.
On trouve ainsi dans le SCOT de Chartres Métropole un projet de PAE (Parc d’Activités Economiques) de 200 hectares connecté à l’A154 au nord de l’agglomération, et situé entre Lèves et Poisvilliers. Un projet de 40 hectares de zones d’activités est également prévu à Dreux.
Combien de projets d’extensions ou de création de ZAC vont voir le jour près des diffuseurs, à Tremblay-les-villages, ou plus au sud vers Voves ou au niveau du raccordement avec l’A10 vers Trancrainville ?
Les 660 hectares « consommés » par l’autoroute vont ainsi être suivis par la construction de plusieurs centaines d’hectares de zones commerciales, de plateformes logistiques, sans compter les nouvelles voies d’accès qui devront être créées.
On est très loin des objectifs de la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette), qui demande aux collectivités, à l’horizon 2050, de diviser par deux leur consommation de terres agricoles !
Au fait, à propos de création de nouvelles voies, est-ce que le compte a bien été fait en Eure-et-Loir ?
Madame Le Préfet d’Eure-et-Loir
En Juillet 2022, lorsque madame le Préfet d’Eure-et-Loir a annoncé que le processus de sélection de l’heureux bétonneur-bitumeur qui sera chargé de construire l’A154-A120 était lancé, la nouvelle fut accueillie par une forte mobilisation des associations qui luttent contre le projet depuis plus de 10 ans et par des euréliens bien décidés à poursuivre sa dénonciation.
En octobre 2022, on a appris lors d’un comité de pilotage que les communes et collectivités impactées étaient invitées à rédiger et transmettre leurs doléances à la Préfecture. Au passage, le directeur de la DREAL rappelait « qu’aucune déviation routière n’était prévue dans le projet autoroutier présenté lors de l’enquête publique ».
Cette proposition était inévitable, car le temps a passé depuis l’enquête publique et la DUP. Les municipalités ont changé, certes pas toutes, mais leurs exigences ont eu le temps de mûrir au fur et à mesure qu’elles comprenaient l’ampleur de l’impact qu’aurait l’autoroute sur leur territoire et leurs habitants.
Les doléances des communes face au projet A154-A120
37 communes ont donc été amenées à transmettre, pour fin novembre 2022, leurs doléances renouvelées ou réécrites, selon les interprétations. Toutes ont dû le faire certainement, mais la compilation de ce « cahier de doléances » n’a pas encore été rendue publique par la Préfecture d’Eure-et-Loir, en dépit des demandes.
Les agglomérations de Chartres et Dreux, ainsi que le Conseil Départemental d’Eure-et-Loir, co-financeurs de la subvention d’équilibre, ont également été invités à apporter leur contribution.
Certaines communes ont publié leurs doléances dans leur journal communal ou sur leur site internet, montrant ainsi, aux habitants, leur implication dans le dossier. Sans surprise, on y découvre que :
- Beaucoup de communes sont particulièrement affectées par le choix qui a été fait : celui de transformer la déviation routière qu’elles ont obtenu il y a 10 ou 20 ans en autoroute, et renvoyer dans leurs rues la circulation « locale », soit tous les non-utilisateurs de l’A 154.
- L’atténuation des nuisances, les mesures de protection et de sécurisation sont au premier rang des demandes, ainsi que … l’aménagement de nouveaux contournements ou déviations routières ! Ainsi, les communes de Boullay-Mivoye, Berchères-Saint-Germain, Poisvilliers et Allonnes en ont-elles apparemment fait la demande.
On touche ici du doigt l’un des aspects les plus ubuesques du dossier A154-A120 :
Certaines communes, dont la circulation a été déviée lors de la mise à 2x2 voies de la RN 154, sont obligées de redemander un contournement routier pour ne pas subir le retour de la-dite circulation. Allonnes, par exemple, qui avait réclamé pendant 30 ans son contournement routier, ouvert finalement en 2013, a dû refaire une demande assez similaire. Au passage, le tronçon de 2x2 voies Allonnes-Prunay-le-Gillon, long de 8,4 km, avait coûté 45,2 millions d'euros.
Au fait, puisque ces contournements ou déviations ne sont pas prévus dans le dossier A154 remis au concessionnaire, qui paiera leur réalisation ? Il n’y a pas de secret : ce seront les collectivités publiques, avec l’argent des Euréliens. Chartres Métropole, ne badinant pas avec l’argent des autres, annonce même que le nouveau contournement d’Allonnes « serait financé par le conseil Départemental au titre de son budget routes » (contribution de Chartres Métropole - 29/11/2022).
Cette contribution recèle par ailleurs quelques données pour le moins surprenantes. On peut y lire qu’il s’agit de la contribution de 2015 à la consultation inter-services de la DREAL qui a été mise à jour grâce aux entretiens du vice-président en charge de l’A154 avec les communes impactées ayant rejoint l’agglomération chartraine depuis 2015 (Theuville, Allonnes, Boisville-la-Saint-Père)… et des contributions actualisées pour les communes de Challet, Berchères-Saint-Germain, Poisvilliers.
A cet instant de la lecture du document, on comprend que les communes les plus impactées du contournement Est de Chartres n’ont pas été prises en compte : Saint-Prest, Gasville-Oisème et Champhol.
En comparant les contributions de Chartres Métropole de 2015 et de 2022, on peut même se rendre compte que certaines doléances concernant ces trois communes ont tout simplement disparu :
- Le franchissement en déblai de la voie ferrée Chartres-Gallardon qui passe entre Oisème et Champhol.
- Les demandes spécifiques de Saint-Prest concernant l’intégration paysagère et la réduction des impacts du viaduc devant permettre le franchissement de la vallée de l’Eure.
- Le maintien du captage d’eau de Saint-Prest et sa protection contre les nuisances de l’autoroute.
Ainsi les doléances actualisées de ces communes n’ont-elles pas pu être prises en compte avec fidélité par Chartres Métropole. La commune de Gasville-Oisème, pour seul exemple, demande ainsi :
- Une modification ponctuelle de la bande EPDUP permettant d’éloigner le tracé de l’autoroute de ses habitations – construites depuis des années – en direction du parc des expositions de Chartres en cours de construction.
- Que le nœud autoroutier A11-A154 soit repoussé de plusieurs centaines de mètres vers le sud-ouest, pour ne pas déployer ses bretelles au ras des premières maisons de la commune.
- Le rétablissement de ses trois liaisons routières interceptées (et pas seulement deux).
- une réduction de la vitesse à 90 km/h au droit de la commune, que l’autoroute doit longer sur deux kilomètres.
Et bien d’autres requêtes, encore, toutes légitimes au regard de l’énorme impact qu’aura l’autoroute A 154, si le projet est maintenu, sur cette commune de 1500 habitants.
Il eut été utile de les lire et de les intégrer à la contribution de l’agglomération chartraine, peu soucieuse visiblement du sort des habitants des communes du contournement Est. Certes, il aurait été plus périlleux d’affirmer par la suite que les doléances et contributions s’imposeraient au candidat retenu pour la construction de l’autoroute (magazine Votre Agglo, décembre 2022).
En conclusion, à l’heure ou le ministère des transports semble peser le pour et le contre de la poursuite de projets autoroutiers tous nés au XXème siècle, il semble plus que jamais nécessaire et vital de faire connaître les aspects les plus nébuleux du dossier A154–A120.
Seule la publication complète des doléances de toutes les communes impactées permettrait d’évaluer pleinement les conséquences directes et indirectes de la construction de cette autoroute, son réel impact environnemental et économique. Cela permettra d’intégrer notamment : les nouvelles demandes de déviations ou contournement routiers, les rétablissements de voies et travaux sur les itinéraires de substitution, le développement de PAE ou de nouvelles ZAC. L’addition exposerait clairement l’inutilité publique de ce projet !
Face au défi du changement climatique et de la nécessité de préparer un monde le plus sain possible pour demain en préservant au mieux nos terres, notre eau et notre air, faisons nôtre l’article 1er de la Charte de l’Environnement, souhaitée par Jacques Chirac et promulguée en 2005 : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » et obligeons nos élus à y réfléchir.
Grégoire BAILLEUX
Association Saint-Prest/Gasville-Oisème Environnement
Mairie de Gasville-Oisème-Adjoint à l’Environnement.
Légende de la photographie : la ligne SNCF désaffectée entre Chartres et Dreux pourrait servir à drainer les circulations "lourdes" du futur, également celles des passagers. Cliché Jonah Wolff.