Imaginez : vous rentrez chez vous après une journée de travail. Vous introduisez votre clef dans la serrure de votre domicile. Vous constatez que la porte n’est pas verrouillée. Pourtant, vous êtes certain d’avoir effectué l’opération ce matin. Vous entrez prudemment. Vous entendez de la musique. Repoussant à plus tard l’idée de prévenir la police, vous avancez dans le couloir jusqu’au seuil de la cuisine. Là, vous découvrez un individu assis à la table en train de siroter un café. Il sursaute en vous voyant. « Que faites-vous chez moi ? Sortez immédiatement ! », hurlez-vous, l’un et l’autre. Lui vous affirme qu’il est propriétaire du lieu, qu’il est dans son bon droit. Il exhibe un titre de propriété, effectivement rédigé à son nom. Vous vous rendez dans votre bureau où se trouvent vos papiers précieux. Vous montrez à l’inconnu l’acte officiel qui vous fait propriétaire de l’immeuble. Chacun de son côté, vous appelez la police. Qui se pointe après un temps infini. Les fonctionnaires vous écoutent, vérifient les documents de propriété. Ils ne comprennent rien ou pas grand-chose à cette histoire ubuesque. Ils soupirent, dépassés par la situation. Ils vous conseillent d’arriver à un compromis, avant de se retirer, vous laissant seuls, face à face. C’est alors que vous sortez l'artillerie…

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Il était une fois un peuple, originellement appelé hébreu, puis juif, vivant en bordure de Méditerranée orientale, en Palestine, depuis au moins un millier d’années avant l’ère chrétienne. Au début de cette dernière, les Juifs, écrabouillés par les invasions et les persécutions, fuient leur royaume d’Israël, leur « Terre Promise » (Canaan), dans un réflexe de survie. Ils se dispersent à travers le monde, notamment vers le continent européen. La diaspora juive est née.

La nature ayant horreur du vide, la place laissée vacante par les Juifs est rapidement comblée par l’arrivée d’une autre communauté disparate, essentiellement arabe, constituée de nomades et semi-nomades. Au VIIIème siècle, l’Islam conquiert la Palestine et ses habitants. Plus tard, jusqu’au début du XXème siècle, la région est partie intégrante de l’empire ottoman.

Vers la fin du XIXème siècle, un mouvement nationaliste « sioniste » émerge en Europe. Il prône la reconstitution d’un foyer juif en terre d’Israël. En 1917, le gouvernement britannique promet d’œuvrer dans ce sens (Déclaration Balfour), d’autant que les Ottomans musulmans sont les alliés de l’Allemagne…

Dans l’entre-deux-guerres, les Britanniques, en colonisateurs patentés, héritent d’un « mandat de protection » de la Palestine, mais ils oublient leur promesse faite au mouvement sioniste. Qu’à cela ne tienne, des colons juifs commencent à migrer vers la Palestine. Ils sont très peu nombreux, quelques centaines, et les Palestiniens les accueillent avec souvent beaucoup de bienveillance : la terre est aride, les conditions de vie éprouvantes. Les courageux sont les bienvenus.

Tout change au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Six des huit millions de Juifs européens ont été exterminés par le régime hitlérien. Les survivants, encouragés par plusieurs organisations sionistes (Haganah, Irgoun), convergent en masse vers le Levant. Ils s’installent en force sur les propriétés arabes en arguant que cette terre est celle de leurs ancêtres qui vivaient là il y a 2 000 ans. Spoliations et meurtres se multiplient. La résistance s’organise chez les arabes palestiniens. Les « occupants » britanniques sont débordés : eux-mêmes touchés par les violences des extrémistes juifs, ils mènent des représailles sanglantes.

L’Organisation des Nations Unies, fondée en 1945, propose, en novembre 1947, un plan de partage de la Palestine, accepté par les Juifs, mais refusé par les Arabes.

Le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclame la (re)naissance unilatérale de l’État d’Israël, aussitôt reconnu par les grandes puissances de l’époque, dont les deux Grands, URSS et États-Unis d’Amérique. Les voisins arabes d’Israël lui déclarent la guerre. Israël l’emporte. Le prix à payer pour les Palestiniens est l’expulsion des hommes en âge de combattre. Seuls les femmes, les enfants et les vieillards sont admis à rester dans deux zones séparées au sein d’Israël : Cisjordanie et Gaza.

Les guerres s’enchaînent : 1956, 1967, 1973, 1982. À chaque fois, Israël triomphe militairement de ses ennemis.

Retour en arrière. En 1964 est créée l’Organisation de Libération de la Palestine, dont la finalité première est la destruction d’Israël. Sous le commandement de Yasser Arafat, l’OLP revendique une multitude d’actes terroristes, dont des détournements d’avions spectaculaires. La sanglante prise d’otages des athlètes juifs lors des Jeux olympiques de Munich en 1972 marque durablement les esprits, et Israël riposte : œil pour œil, dent pour dent.

L’impasse est totale. Le camp arabe se fissure. L’Égypte de Sadate fait la paix avec Israël. À partir de 1987, dans les « territoires occupés », la jeunesse palestinienne se lance dans une guerre des pierres autant suicidaire que désespérée (Intifada). Des centaines de gamins tombent sous les balles de Tsahal, l’armée israélienne.

1992. Dans le plus grand secret, des émissaires juifs et palestiniens se retrouvent à Oslo. Ils sont mandatés pour fabriquer un compromis. L’année suivante, le 13 septembre 1993, Bill Clinton patronne une poignée de mains historique entre le 1erministre juif Rabin et le chef de l’OLP Arafat. Ce dernier a accepté quelques jours auparavant d’abandonner l’objectif de destruction de l’État juif. En retour, Rabin valide la création d’une Autorité palestinienne, préalable à la création d’un futur État palestinien. La paix est toute proche, pensent les gens de bonne volonté.

Las, en novembre 1995, Rabin est assassiné par un intégriste juif. De son côté, Arafat, vieillissant, est débordé par une mouvance palestinienne enragée, islamiste et omnipotente dans la bande de Gaza : le Hamas. Fort du soutien de l'Iran, le Hamas prospère auprès de la jeunesse déshéritée palestinienne dans son objectif réaffirmé d'écrasement des Juifs. Et le successeur d'Arafat (décédé en 2004), Mahmoud Abbas, ne lui arrive pas à la cheville. De son côté, l’extrémisme juif au pouvoir, incarné par Benjamin Netanyahou, n'en finit pas de mettre de l'huile sur le feu : il conduit une politique d’expropriation de la terre des Palestiniens en Cisjordanie au profit de colons fanatisés.

On connaît la suite : le 7 octobre 2023, le Hamas lance une offensive terroriste d'envergure contre Israël. Des centaines de civils juifs en bordure de la bande de Gaza sont sauvagement assassinés. L'armée juive riposte évidemment en bombardant Gaza. La paix attendra au moins deux générations...

Gérard Leray

Illustration : près de Bethléem, le mur séparant les communautés juive et palestinienne.