Heureuse initiative de la librairie L’Esperluète, l’un des rares territoires de liberté dans notre ville : des représentants de ce mouvement viennent rencontrer samedi 19 octobre à 11 heures les lecteurs de leur premier ouvrage, Premières Secousses.
Un livre à faire passer de main en main, qui se présente comme un bilan d’étape, un témoignage sur les origines, « une bûche jetée pour attiser la flamme du mouvement ». Loin du ressassement olympique, rendons hommage à une « force qui va » : la métaphore hugolienne n’est pas de trop pour retracer l’action de tous les êtres, associations, confédérations attachés à défendre la terre, les eaux, le vivant que le « capitalocène » a mis à mal.
Agir, réfléchir, argumenter
Les Soulèvements ont une rigueur à laquelle se soustraient tous les gouvernements : ils font le point, reviennent sur leurs mobilisations, les analysent, afin d’aiguiser leur efficacité, mais aussi de rendre compte à ceux qui les suivent, les rejoignent, et même de s’expliquer devant les sceptiques. Retour sur toutes les luttes conduites depuis l’appel fondateur de janvier 2021 : front anti-béton, contre l’artificialisation de 4000 hectares de terres nourricières pour le Grand-Paris, rebaptisé Grand Péril Express, projet issu de la présidence Sarkozy, mise en échec des bassines, préservation du glacier de la Girose (contre la prolongation du téléphérique), défense des forêts -entre autres héroïques entreprises dans un contexte politique sans merci : violences et menaces de la part d’un Etat qui peut avoir la main lourde.
Ligne politique
Quelques infinitifs résument leurs objectifs : Désarmer (les centrales à béton), Démanteler (l’agriculture chimique), Réarmer (la forêt), Bâtir, S’Organiser (comme une alternative aux appareils qui ont fait faillite). Au départ, il y a la défense de la terre et de la vie paysanne, que les pouvoirs ont condamnés à l’extinction (les tracteurs de Notre-Dame-Des-Landes ont été les précurseurs des Soulèvements), que ce soit par les grands travaux inutiles ou l’agro-industrie, qui exploite et endette des travailleurs de la terre asservis. « Faire redescendre l’écologie sur terre », écrivent-ils : lier question écologique et question sociale (le travail paysan partage avec les tâches domestiques des femmes à la fois l’invisibilité et le caractère vital). Sans omettre la question coloniale, d’où part une grande partie du dommage causé au vivant, sous forme de pillage du sol et du sous-sol.
« Ce qui nous tue, nous avons le droit de le défaire »
Cet adage procède d’un constat : il n’y a plus de médiation possible, trop d’intérêts liant lobbies et politiques. Il faut agir directement : obliger à sortir de l’économie de l’extraction, défaire la structure du complexe agro-industriel, oeuvrer à la réappropriation de la terre par les paysans, produire les semences, constituer des réseaux de distribution. « Le démantèlement, ce n’est pas une perspective théorique, c’est un travail manuel » (démanteler signifiant « ôter le manteau, mettre à nu »).
Ce qui se dessine dans cet ouvrage, c’est une aurore. Forts de quelque deux cents comités à travers la France et ses confins, les Soulèvements ont amorcé un mouvement irrésistible. Le ministre Darmanin a fui devant les caméras quêtant sa réaction après la décision du Conseil d’État qui annulait son décret de dissolution. Enquêtes, accompagnement de la révolte (Gilets jaunes, agriculteurs en colère, bataille anti-logistique), solidarité, assemblées, relais des médias indépendants. Gageons qu’ils nous feront prendre de l’avance en semant l’idée que notre civilisation doit s’accommoder de ce qui lui reste, et partager les ressources encore renouvelables. Au moins, ils ouvrent une alternative à l’individualisme triste : rien n’est plus joyeux et roboratif qu’un convoi de l’eau, un rassemblement festif et créatif au Larzac, une occupation d’un site malencontreusement élu par les technocrates lointains.
Premières Secousses, éditions La Fabrique, 2024.
Illustration : l’outarde canepetière, emblème des Soulèvements de la Terre
Chantal Vinet