Amin Maalouf est académicien, d’origine libanaise, de langue arabe, il s’est réfugié en France au moment de la guerre du Liban en 1976. Cette expérience qui le place entre deux mondes, l’Orient et l’Occident, le rend particulièrement sensible aux problèmes des migrants et de l’identité, liés à la langue, la religion, etc. Cet essai a été écrit en 1998, mais sa réflexion garde toute sa pertinence aujourd’hui, c’est sans doute pourquoi il vient d’être réédité en format poche.
L’auteur, surtout romancier, nous offre ici un essai, une analyse approfondie de ce que peuvent produire les religions. Il affirme que l’on peut lire la Bible ou le Coran et trouver toujours des « interprétations différentes et contradictoires », car l’on sait trouver des citations sacrées qui semblent justifier les pratiques du moment. C’est, par exemple, le commandement : "Tu ne tueras point" qui figure dans la Bible depuis plus de deux mille ans ; c’est seulement au vingtième siècle que certains pays de culture chrétienne l’ont appliqué en supprimant la peine de mort. Amin Maalouf conclue que « le texte ne change pa,s mais c’est notre regard qui change. »
Toujours à propos des religions, il dénonce la méfiance et le rejet à l’égard de l’Islam qui n’est pas plus intolérante et despotique que n’a été le catholicisme au moment de l’inquisition et des monarchies de droit divin.
Il nous met en garde lorsque nous dénonçons une injustice, lorsque nous défendons les droits d’une population qui souffre de ne pas nous retrouver complices d’une tuerie. Comment ne pas penser à Israël et la Palestine ? Avec l’avènement de la démocratie, des idées nouvelles ont lentement émergé : celles que tous les hommes ont droit au respect et à la dignité, ainsi que les femmes et maintenant, c’est la nature qui mérite d’être préservée. En 1998, il n’avait pas cité la communauté LGBT.
A propos d’immigration, Amin Maalouf observe que « lorsque sa langue est méprisée, sa religion bafouée, sa culture dévalorisée, la réaction est d’afficher avec ostentation les signes de sa différence. » Inversement, lorsque qu’un immigré sentira sa culture d’origine respectée, plus il s’ouvrira à la culture de son pays d’accueil.
L’auteur critique l’Occident qui s’est lancé à la conquête du monde convaincu de sa supériorité amenant certes les progrès techniques et la médecine ainsi que l’idée de liberté, mais se livrant également à des massacres, des pillages et à l’esclavage. Suscitant en retour, traumatisme et ressentiment pour des générations. L’une des composantes de la domination occidentale est la langue anglaise, Amin Maalouf réaliste, considère que c’est un handicap de ne pas connaître cette langue, mais incite chaque personne à utiliser sa propre langue et même d’en apprendre une troisième pour faciliter les liens surtout lorsqu’on est européen.
Le besoin d’affirmer son identité doit être observé, compris et apprivoisé pour éviter la multiplication des conflits nous dit-il. En démocratie ce qui est primordial, ce sont les valeurs et non les mécanismes. Notre binational libano-français et académicien conclut : « ce qui doit absolument être respecté, c’est la dignité de tous les êtres humains quelques soient leurs sexe, leur croyances ou leurs couleurs. »
Les sujets abordés sont d’une surprenante actualité, et nous permet de comprendre bien des problèmes d’aujourd’hui. A l’heure où l’extrême droite progresse partout et n’a que pour objectif de refouler les migrants, cet ouvrage mériterait une très large diffusion !
Denys Calu
Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset, 1998.