Delphine de Vigan a une qualité certaine : lorsqu’elle s’empare d’un sujet sociétal, elle parvient à insérer dans son écriture des images cinématographiques. Cette romancière a ce petit quelques chose en plus qui fait que ses livres nous transportent automatiquement dans notre imaginaire. La performance est d’autant plus grande qu’avec son dernier roman Les enfants sont rois, Delphine de Vigan s’attaque à un sujet grave : les réseaux sociaux avec l’exploitation des enfants dans une entreprise malsaine pouvant rapporter beaucoup de fric. Ces nouveaux moyens de communication que forment les réseaux sociaux réservent à la fois le meilleur et le pire. Disons-le clairement, tout n’est pas à jeter. Mais ne perdons pas de vue – pour ceux qui l’auraient oublié – que l’essentiel est bien sûr ailleurs !
Le fond du fond, au-delà des injures et autres déversements de haine que l’on peut trouver sur certains sites, c’est quand même l’exploitation des enfants pour créer des vidéos familiales où l’on vous vend une famille heureuse couverte de cadeaux indispensables au bonheur. Dans celle présentée par Delphine de Vigan, il y a deux enfants Sammy et Kimmy. Depuis leur plus jeune âge, ils sont les vedettes innocentes et inconscientes d’une chaîne internet où leur vie est exposée jusqu’à plus soif. On les trouve au petit déjeuner, dans les magasins, s’amusant avec des jeux fournis par les marques et portant bien évidemment des vêtements dont les sigles sont visibles. II y a la mère, qui dirige les séquences, invente les scénarios et produit les films pour le bonheur de ses enfants bien sûr et de ses « chéris » qui les regardent et les suivent par milliers. Le père de son côté, assiste la mère au plan technique dans une association très lucrative puisque les marques paient pour être citées par les enfants devenant sans le savoir des influenceurs. Plus le nombre des followers est important… plus cela rapporte gros. CQFD. Dans ce monde qui ne fait pas rêver, les enfants parfaitement conditionnés, deviennent les esclaves des parents qui savent ce qu’il y a de mieux pour leurs progénitures… mais surtout et prioritairement pour leur portefeuille.
Mêlant intrigue, analyse psychologique des héros de ce triste film, la romancière nous donne à voir ce qui existe réellement sur les réseaux sociaux où le privé devient forcément public. La réalité laisse la place au virtuel et à une existence qui ne ressemble en rien à la vraie vie loin des caméras. Comme le dit si bien Delphine de Vigan : « Toutes les vidéos obéissent au même ressort dramaturgique : la satisfaction immédiate du désir. Kimmy et Sammy vivent le rêve de tous les enfants : acheter tout, tout de suite. »… tout en effaçant la frustration et en éliminant le concept des rêves. C’est la société de consommation au sommet de son art en version réseaux sociaux. Bien évidement, se construire dans ce monde bercé d’illusions n’est pas sans conséquence pour le développement moteur et psychologique des enfants soumis à cet internement. Delphine de Vigan nous présente ce que sont devenus Sammy et Kimmy à 20 ans. C’est effrayant. On peut se poser la question : qu’avons-nous fait pour en arriver là ? Il reste malgré tout des principes de base à conseiller : quand on n’a rien à faire sur les réseaux sociaux on n’y va pas ; le privé doit rester dans le privé et surtout, on n’expose jamais les enfants.
N’oublions pas que le plus important, c’est quand même une vie sans caméra, sans écran.
Pascal Hébert
Les enfants sont rois, de Delphine de Vigan, éditions Gallimard, 348 pages, 20 euros.