Karine Tuil ressent notre époque avec une intensité extrême. Dans cette époque où tout est médiatisé à outrance, le réel est-il encore perceptible ? A quoi se résume la vie d’un homme en ce début du XXIe siècle ? Le numérique ne fait-il pas perdre le bon sens général à une société qui attend tout du pouvoir ?

Dans ce monde en perdition, des hommes surnagent dans leur automobile. Les choses humaine de Karine Tuil est un beau miroir de notre nouvelle société. Nous avons tranquillement basculé dans un film où l’homme n’est plus le personnage central. D’ailleurs, les philosophes restent muets tout comme les poètes. Le venin se répand naturellement dans les esprits par le biais de la veine des réseaux sociaux. Cet outil qui peut vous tuer en quelques clics.

Et puis il y a le pouvoir des hommes installés avec son lot d’excès. Jusqu’où peut-on aller pour le garder et profiter de cette maladie narcissique ? A l’instar d’un chirurgien, Karine Tuil dissèque cette époque dans un roman exceptionnel. Au-delà des nouveaux modes de fonctionnement, la romancière pointe le bout de son stylo sur ces vies qui peuvent basculer à n’importe quel moment comme Alexandre, le fils d’un journaliste politique incontournable et redouté pour ses questions sans détour.

Dans ce monde médiatique où les requins sont légion, le grand journaliste Jean Farel parvient à maintenir le cap contre vents et marées. Les directeurs de chaîne passent mais lui demeurent. Il fait partie du paysage. Avec délice, Karine Tuil nous conte l’envers du décor, ce qui fait réellement avancer Jean Farel, un homme foncièrement blessé depuis son enfance. Cet animal médiatique se méfie des autres et évite de donner du grain à moudre à ceux qui rêvent de le voir tomber. Ce qui ne l’empêche pas de profiter des petits avantages que lui apporte la célébrité. Entre les stagiaires qui succombent à ses avances et les petits cadeaux, Jean Farel est le reflet d’un pouvoir obscène.

Quant à sa femme, elle tente d’exister dans l’ombre d’un mari surexposé. Alexandre, malgré ses fêlures, est un enfant privilégié qui consomme la vie. Il étudie aux Etats-Unis dans une université prestigieuse. De retour en France, il s’embarque dans une aventure surréaliste et glauque. Au cours d’une soirée alcoolisée, il obtient une relation sexuelle avec la fille du nouvel ami de sa mère. Une relation consentie ou pas, telle est la question qui percute la seconde partie de ce roman.

Avec l’œil de l’observateur, Karine Tuil nous entraîne dans les arcanes de la procédure judiciaire et du procès aux Assises pour tenter de découvrir la vérité sur cette relation qualifiée en viol. Mais la vérité est loin d’être simple dans cette affaire où chacun campe sur sa vérité. Les plaidoiries des avocats et du procureur général ne manquent pas de panache. Et pour conclure, Karine Tuil dit : « On naissait, on mourait; entre les deux, avec un peu de chance, on aimait, on était aimé, cela ne durait pas, tôt ou tard, on finissait par être remplacé. Il n’y avait pas à se révolter, c’était le cours invariable des choses humaines. »

Pascal Hébert

Les choses humaines, de Karine Tuil, éditions Gallimard, 342 pages, 21 euros.