L’amour n’est jamais bien loin dans les romans de Tahar Ben Jelloun. Avec Les amants de Casablanca, le romancier met carrément les deux pieds dedans. Il y a l’amour, bien sûr, mais aussi tout un contexte que Tahar Ben Jelloun ne manque pas de mettre en exergue dans un Maroc qui vit avec son temps entre les traditions et la modernité frappant aux portes des familles de la classe la plus aisée du pays. Celle qui a pu s’émanciper grâce aux études supérieures et à des métiers pouvant rapporter gros.
Dans ce roman, où l’on peut entendre les deux protagonistes s’exprimer, Tahar Ben Jelloun va plus loin que la narration d’une belle histoire d’amour. Le romancier s’engage sur les chemins qui mènent à l’amour et à la passion dévorant tout sur son passage en y apportant une explication universelle. Il est vrai que les personnages de ce livre ne dépendent pas l‘un de l’autre financièrement. Nabile et Lamia forment un couple comme on les rêve. Nabil est pédiatre. Lamia, pharmacienne, se révèle être une entrepreneuse efficace dans un pays où les femmes peuvent s’émanciper financièrement tout en gardant un pied dans les traditions. Même si elle gagne mieux sa vie que son mari, Lamia ne se montre pas supérieure pour autant. Ce déséquilibre n’entache pas la vie du couple.
Au bout de dix ans de mariage, néanmoins, arrive le moment fatal où le vilain mari tue le prince charmant dans un quotidien ennuyeux où même les relations sexuelles n’apportent plus l’exultation. Dans cette vie sans relief, Lamia finit par tomber dans les bras de Daniel, un genre de gigolo pour femme à la recherche d’aventure ou désireuse de rompre la monotonie. « L’état amoureux a ceci de constant qu’il se délite avec l’apparition dans la vie quotidienne de détails qui, en s’accumulant, finissent par tuer à petit feu l’amour et surtout le désir. Allais-je connaître l’étape où Adolphe constate que « c’est un affreux malheur de n’être pas aimé quand on aime ; mais c’en est un bien grand d’être aimé avec passion quand on n’aime plus » ? » dit Nabile. Aveuglée par cette passion dans laquelle elle découvre toute l’étendue de sa sensualité et de la jouissance de son corps, Lamia perd pied. Alors que Daniel met un terme à leur relation dévorante, Lamia décide elle aussi de rompre avec son mari. Après avoir connu l’ivresse de l’amour physique, elle n’est pas prête à retrouver le désert du mariage.
Au fil des événements de cette histoire d’amour, Tahar Ben Jelloun ne manque pas de distiller ses pensées sur l’organisation de la société marocaine ainsi que sur l’importance de la religion : « Ah, l’islam ! Religion de paix mais si mal comprise, si mal interprétée. Au nom de l’islam, l’homme se permet tant d’injustices. Souvent la loi est de son côté et il en profite sans vergogne. Si nous étions dans un pays laïque, nos relations seraient plus saines. Mais je ne pense pas qu’un jour ce pays, ou plutôt ses hommes, acceptera de cantonner la religion à la sphère privée. Ils en ont besoin pour dominer et perpétuer un ordre archaïque. »
Avec Les amants de Casablanca, Tahar Ben Jelloun signe beaucoup plus qu’un roman d’amour. C’est une belle étude sur nos comportements dans ce que l’on appelle la passion.
Pascal Hébert
Les amants de Casablanca, de Tahar Ben Jelloun, éditions Gallimard, 326 pages.