Avec la guerre qui frappe aux portes de l’Europe en Ukraine depuis février, le Prix Bayeux Calvados Normandie des Correspondants de guerre a connu plusieurs moments forts en émotion la semaine dernière. Depuis son lancement en 1993 par Jean-Léonce Dupont, président du Conseil départemental du Calvados et ancien maire de la cité épiscopale, ce prix est devenu l’épicentre du rendez-vous des reporters de guerre du monde entier. Des expositions de photos sur la guerre en Ukraine, sur la situation des femmes en Afghanistan et des soirées débats ont animé la ville de Bayeux, devenue l’écrin d’une manifestation où l’on peut comprendre les événements tragiques qui secouent le monde.

Bayeux, première ville de France libérée en 1944, est entrée dans l’Histoire avec les discours du général de Gaulle en 1944 et 1946. Aujourd’hui, la capitale du Bessin est devenue le phare de la Liberté en rendant, depuis près de trente ans, un hommage appuyé à tous les correspondants de guerre morts sur le théâtre des opérations dans tous les conflits du monde. Leur motivation : informer. Informer pour mieux appréhender la réalité de ces conflits et bien évidemment les conséquences sur les combattants et les populations prises dans le carnage, comme actuellement en Ukraine. Pendant une semaine, la cité bajocasse a été la capitale du monde de l’information et de la Liberté des hommes et de la presse. Il faut que la presse soit libre pour que des journalistes, photoreporters puissent se rendre sur le terrain pour rapporter les faits. Rien que les faits... et contredire au passage la communication des belligérants. Les grands reporters de la presse écrite, parlée, télé ou photo ont dialogué avec un public curieux de mieux comprendre la marche du monde. Comme ce fut le cas le vendredi avec la mascotte du Prix Bayeux, le grand, très grand photoreporter Patrick Chauvel, qui revenait d’Ukraine et qui a partagé son analyse de la situation avec les Bayeusains : « Je continue de faire mon métier, pour que jamais on ne puisse dire : on ne savait pas ! » explique le photographe, véritable légende, à qui Reporters sans frontières consacre sa revue de 2022.

Mémorial des reporters

Comme traditionnellement, les représentants de Reporters sans frontières, Patrick Gomont, maire de la ville de Bayeux, Jean-Léonce Dupont, président du Conseil départemental du Calvados ont rendu hommage aux journalistes tués dans leur travailau cours de l'année passée. Le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, a dévoilé jeudi une nouvelle stèle au Mémorial des reporters en présence des familles et collègues des journalistes Maks Levin, Shireen Abu Akleh et Frédéric Leclerc-Imhoff. Rappelons que le photoreporter ukrainien Maks Levin a lâchement été exécuté par des soldats russes dans une forêt au nord de Kyiv le 13 mars 2022. Quant à Frédéric Leclerc-Imhoff, journaliste français de 32 ans, il a été tué par un éclat d’obus en Ukraine le 30 mai, alors qu’il était dans un camion humanitaire pour filmer une opération d’évacuation de civils de la ligne de front à l’est. En 2015, après l’attentat de Charlie Hebdo, Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, avait rappelé qu’en France : « aujourd’hui, pour un bon mot, pour un trait d’humour, un dessin, on peut perdre la vie. » Ne jamais l’oublier.

Hommage à la démocratie et à la Liberté

Avec ce Mémorial qui se visite librement, Bayeux prolonge un travail de mémoire entamé après la Libération de la France. Il y a près de 30 ans, lorsqu’il a imaginé cet hommage aux reporters de guerre, à la démocratie et à la Liberté, Jean-Léonce Dupont, ancien sénateur et surtout enfant de Bayeux, n’imaginait pas le retentissement mondial de cet événement : « Bayeux est légitime pour mettre en place ce symbole de la démocratie et de la liberté à travers le travail des reporters de guerre. On a commencé par un prix international. C'est toute la ville qui est maintenant mobilisée. Toutes les écoles sont concernées avec comme point de départ le Prix des lycéens. » La transmission fait partie intégrante du prix Bayeux-Calvados-Normandie des Correspondants de guerre : « Cinquante lycées travaillent sur le Prix avec la rencontre d'un professionnel. » explique Jean-Léonce Dupont, qui ajoute : « Nous avons crée dès la première année un mémorial des reporters de guerre avec un certain nombre de stèles où sont gravés depuis 1944 tous les noms des reporters morts dans les guerres à travers le monde. Il y a des listes effrayantes. Cela ne diminue pas. A chaque dévoilement de plaque, nous avons de grands moments d'émotion. »

De l’émotion, la 29ème édition du prix Bayeux-Calvados n’en a pas manqué, comme on a pu le constater une fois de plus lors de la cérémonie des remises des prix, toujours poignante.

Aujourd’hui encore, lorsque l’on marche dans les allées du Mémorial à la rencontre des stèles bien alignées, il est toujours difficile d’accepter de voir le nom de Cabu, mort à Paris dans l’attentat de Charlie Hebdo en 2015, rejoindre celui d’un Gilles Caron, photographe français, disparu au Cambodge sur une route contrôlée par les Khmers rouges, un jour d’avril 1970, à l'âge de 30 ans.

Pascal Hébert