Yasmina Khadra nous emmène avec son dernier roman Le sel de tous les oublis dans l’Algérie des années 1950 pour un périple initiatique, où comment une rupture amoureuse fait basculer toute une vie ordonnée. Adem Naït-Gacem, instituteur, s’effondre lorsqu’il apprend que sa femme le quitte pour un autre. Anéanti par cette rupture surprenante dans un pays et une époque où les épouses sont soumises à leur mari, il sombre dans le désespoir. Il décide de tout quitter, son travail qui lui apporte son bifteck, son statut social. Il prend la route comme un vagabond sans toi, ni lien. Il laisse le hasard se transformer en destin. Avec une émotion et une plume trempée dans l’encrier de la sincérité, Yasmina Khadra nous fait découvrir des personnages aussi surprenants les uns que les autres.
Si les pas d’Adem Naït-Gacem le guident vers d‘autres contrées, villes et villages, c’est surtout les rencontres qui demeurent le point culminant de ce voyage. Tout comme Homère, l’instituteur fait des rencontres marquantes comme ce vieillard aveugle, ce psychiatre qui sonde les âmes, ou ce nain qui fait tout pour nouer une amitié solide et sincère avec les êtres qu’il croise sur son chemin loin des villes. Malgré leur condition et leur place sociale, tous ces étrangers donnent à Adem leur part d’humanité et leur espérance en la vie et l‘homme… sans oublier l’amour. Peut-on vivre sans amour ? Telle est la question qui plane sur les lignes de ce livre. Yasmina Khadra nous apprend que chaque homme peut subir dans sa vie des déceptions ou des échecs qu’il faut surmonter. Mais pas seul. Tout comme le charretier prêt à aider son prochain, il y a souvent une main tendue qui vous attend au coin de la rue.
Le sel de tous les oublis fait écho au merveilleux livre d’Albert Cossery Mendiants et orgueilleux dont Georges Moustaki a tiré ces quelques vers :
A regarder le monde s’agiter et paraître
En habit d’imposture et de supercherie
On peut être mendiant et orgueilleux de l’être
Porter ses guenilles sans en être appauvri
L’humour n’a pas de rang il traîne dans la rue
Avec la dérision pour compagne fidèle
La force est impuissante devant les mains nues
De ceux qui savent rire encore et de plus belle
On voit sur le trottoir des maîtres philosophes
Qui n’ont jamais rien lu mais qui ont tout compris
On voit dans les ruisseaux des filles qui vous offrent
Un instant qui ressemble à mille et une nuits
Pascal Hébert
Le sel de tous les oublis, de Yasmina Khadra, éditons Julliard, 253 pages, 19 euros.