C’est l’histoire d’un petit chemin à Luisant, un petit chemin qui me rappelle une chanson de Bourvil mélancolique et tragique comme son destin : Le Petit Bal Perdu. On pourrait presque remplacer une partie des paroles. Fermez les yeux et laissez-vous entraîner par l’accordéon.
« Non, je ne me souviens plus du nom du p’tit chemin perdu, ce dont je me souviens, c’est de ces marcheurs amoureux qui ne regardaient rien autour d’eux, y’avait tant d’insouciance dans leur marche ténue, alors qu’elle importance le nom du chemin perdu… »
Fin de la chanson et retour à la réalité chartraine sur le devenir de ce petit chemin à jamais perdu.
C’est l’histoire d’un petit chemin qui ne demandait rien à personne. Il était là depuis toujours, tracé par le passage de quelques marcheurs du dimanche, quelques coureurs connaisseurs de tracés un peu sauvages. Un petit chemin à Vauparfonds dans un vallon, en lisière de bois et de prairie.
Il avait quelque chose de magique au milieu de la ville, il nous obligeait à l’humilité, on marchait les uns derrière les autres, on était invités à entrer dans un monde foisonnant,. Ce tracé presque imperceptible à l’œil nu était le moyen de nouer des liens avec ce monde sauvage.
Apparu certainement naturellement, sans appel d’offre public, sans machines, sans objectifs économiques, il ressemblait peut-être à la trace que suivaient nos ancêtres lors de leur déplacement nomade. Le chemin n’était connu que de ceux qui avaient dessiné dans leur esprit une carte sensible des lieux.
Mais il n’avait rien coûté et c’est sûrement ça que certains lui ont reproché et qui lui a valu de disparaitre condamné par la normalisation de nos vies. Pas assez large, pas assez praticable, pas assez classieux. On n’inaugure pas une sente étroite de terre et quelques panneaux pédagogiques discrets. Non, on inaugure du faste and furious, de l’espace public fast-food. La poésie et la rêverie, ça va cinq minutes. A l’heure des écrans, des hastags, des « sochiaul rézo » il faut de l’image, du tonitruant, de la puissance…
In fine l’insignifiance et la discrétion du petit chemin de Vauparfonds lui a valu de passer sous les fourches caudines des engins de terrassement. Une journée pour disparaître.
Et que dire de ses abords : la prairie. Disparue également sous la terre de l’excavation. Mais attention, démarche écologique, « on n’a rien évacué, tout est resté sur place ». Ah merci, on est rassuré. Un coup de semis de graines sauvages et c’est reparti, comme une machine qu’on a réparé et qui redémarre. C’est beau la nature, on la détruit, elle repart de plus belle.
Le tour est joué, le petit chemin rêveur est remplacé par une ligne droite sans âme. Est-ce à croire que marcher sur un sol herbeux ou terreux nous fait peur ? Il nous faut des surfaces minérales inertes pour nous rassurer. Le chemin calcaire représente-t-il symboliquement notre monde actuel, celui de nos flux de circulations rapides, d’informations, de données.
La rationalité a eu raison de ce petit chemin à l’esprit frondeur, il s’est plié au cahier des charges qui a eu raison de sa liberté d’être. Trois mètres de large, géotextile, grave calcaire compactée, quelques centimètres de sablé de finition.
Une véritable autoroute pour la traversée des insectes non volants. Et tout ça pourquoi ? Pour le tourisme, le loisir facile et du travail pour les forces économiques essentielles locales.
Alors j’aurais pu, me laisser envahir et aveugler par la colère, pointer du doigt des responsables directs ou indirects, taper sur le manque de convictions fortes et la culture de la compromission des politiques locaux qui n’ont pas écouter les quelques voix dissonantes qui se sont exprimées l’année dernière. Ceux qui regrettent aujourd’hui sont déjà punis par le remord (j’espère qu’ils en éprouvent) et la tâche qui restera.
Non, je veux simplement exprimer ma tristesse, et le souvenir de ce petit chemin qui nous aurait tellement fait du bien s’il était resté comme il était, simple, discret, comme une invitation au rêve, à la modestie. Ce petit chemin va disparaitre de nos mémoires, la prairie va repousser comme elle peut après ce cataclysme pour le sol. Et, dans quelques semaines, après une inauguration en grande pompe de ce raccordement de la « Plan(nification) Vert(e) » une personne passera à toute vitesse en trottinette électrique, écouteurs vissés sur les oreilles. Après son passage éclair, disparaitra à jamais…
« … le souvenir de ce petit chemin perdu, qui s’appelait ?, qui s’appelait ? Non, je ne me souviens plus du nom du chemin perdu. Ce dont je me souviens, c’est de ces marcheurs amoureux…
et c’est bien triste,
et c’est bien triste ».
CLAP DE FIN.
Thomas Courties