Gilles Bornais est un passionné. Passionné de littérature et de natation. Lorsque les deux s’entremêlent, cela devient un superbe récit : Le nageur éternel. Il y a quelque temps, après la sortie de son roman policier Le sang des Highlands, Gilles Bornais avait trempé le pied dans la piscine pour déjà nous parler de natation. Avec Le nageur et ses démons (éditions François Bourin), l’ancien journaliste évoquait avec talent le monde de cette discipline sportive.

Il aurait pu s’arrêter sur ce récit retraçant l’histoire de ce sport, tout en nous régalant d’anecdotes sur les champions contemporains. Mais que nenni ! Gilles Bornais n’avait pas tout dit sur ce sport qu’il pratique assidûment contre vents et marées depuis son jeune âge. Le nageur éternel est la version enrichie et actualisée de son précédent livre, mais pas que. Dans ce nouvel essai, il revient sur l’histoire de la natation ainsi que son évolution au fil des siècles et en France.

Et c’est ainsi que l’on apprend que dans l’Antiquité, les Grecs disaient d’un homme peu instruit : « Il ne sait ni lire ni nager. » Une grosse part du récit de Gilles Bornais est consacrée à la technique et à l’art de bien nager. On apprend comment un simple barboteur peut devenir un véritable nageur aguerri. Grâce à son expérience personnelle, Gilles Bornais se met en situation, et pas toujours à son avantage, pour illustrer son propos. A la lumière de ses explications fluides et compréhensibles pour tous, on comprend mieux comment on peut gagner quelques centièmes de secondes sur un chrono.

Si l’auteur partage son expérience, il ne manque pas d’évoquer l’engouement récent pour la nage en eau libre et les interminables heures d'entraînements, les entraîneurs, les nageurs d'hier et d'aujourd'hui comme Léon Marchand, Camille Muffat, Laure Manaudou, Florent Manaudou, Mark Spitz, Nicolas Granger sans oublier la première star Johnny Weissmuller  (Tarzan au cinéma), Alfred Nakache, le « nageur d’Auschwitz ». Gilles Bornais revient aussi sur l'antique descente de la Seine au début du siècle passé et des traversées de la Manche.

Qui dit évolution de la natation dit piscine. Sans elles point de futurs champions et de bons entraîneurs. La multiplication des piscines dans toute la France à partir des années soixante a permis de voir émerger des champions grâce aux cours de natation inscrits dans les programmes scolaires EPS et les cours dispensées par les maîtres nageurs.

A quelques semaines de l’ouverture des Jeux Olympiques et de suivre les compétitions de natation prometteuses pour la délégation française, le livre de Gilles Bornais nous permet de plonger avant l’heure H dans le grand bain. Mais cet essai, c’est aussi l’occasion de découvrir un romancier plutôt discret qui s’ouvre en présentant tout ce que la natation lui apporte dans la vie.

Pascal Hébert

Le nageur éternel, de Gilles Bornais aux éditions Paulsen. 322 pages. 8 euros.

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Questions à Gilles Bornais : « Tous les médecins sérieux vous le diront, la natation c’est le meilleur sport pour la santé. »

P.H : pourquoi as-tu voulu reprendre Le nageur et ses démons ?

G.B : je l’avais écrit en 2018, en six ans, la natation et ses pratiques ont évolué. La nage en eau libre s’est énormément développée, la natation des maîtres (vétérans) aussi.  En faisant des recherches sur l’histoire de la natation en milieu naturel, j’ai trouvé de belles histoires que je raconte. Léon Marchand dont je disais qu’il était un espoir est devenu un grand champion et les techniques même de la nage ont évolué. Les champions des bassins nagent plus vite sous l’eau qu’en surface. J’explique pourquoi.

P.H : cet essai est plus personnel et souligne bien ton rapport à cette discipline sportive. Aurais-tu été un autre homme sans la natation ?

G.B : oui, forcément parce que j’ai longtemps nagé tous les jours, voire deux fois par jour et aujourd’hui je nage encore 6 heures par semaine. La moitié de mes ami(e)s sont des nageuses et nageurs, l’autre moitié sont des journalistes.

P.H : j’aime bien cette anecdote des Grecs parlant de gens peu instruits : « Il ne sait ni lire ni nager. » Peux-tu nous en dire plus ?

G.B : il fut un temps où l’« instruction » du corps était aussi importante que celle de l’esprit. Et chez les Grecs anciens (qui habitaient un pays quasiment cerné par la mer) il était aussi nécessaire de savoir nager qu’écrire. Cet objectif  d’un esprit sain dans un corps sain devrait toujours être poursuivi. Aujourd’hui les pays, où le niveau de culture et d’instruction des enfants baisse, voient aussi baisser leur niveau sportif.

P.H : la natation est un sport ingrat avec des heures et des heures d’entraînement. Beaucoup de nageurs de premier plan ne veulent plus remettre un pied dans les bassins lorsqu’ils arrêtent. Comment expliques-tu cette réaction ?

G.B : la natation de très haut niveau peut se révéler ingrate, mais aussi source d’immense plaisir et réalisation. Dans tous les cas, c’est une discipline formidable. Déjà pour une raison : on peut nager toute sa vie et s’en porter bien. Tous les médecins sérieux vous le diront, c’est le meilleur sport pour la santé.

P.H : comme tous les sports individuels, il faut du caractère pour s’entraîner et progresser en natation. Que peux-tu nous dire sur Léon Marchand que l’on attend aux Jeux Olympiques ?

G.B : il est la meilleure publicité pour notre sport. Il a d’excellents parents, une bonne tête, il parle bien et n’est pas un monstre physique. C’est un surdoué. Sauf accident il va être la vedette masculine des Jeux olympiques. Il lui reste à supporter un programme de courses très copieux.

P.H : que penses-tu du niveau actuel de la natation française ?

G.B : la natation française repose, comme elle l’a toujours fait sur quelques individualités. Nous avons d’excellents entraîneurs, mais ils ont peu de nageurs de haut niveau à entraîner.

PH : tu parles des piscines qui ont fleuri en nombre dans toute la France à partir des années soixante. Sont-elles à la hauteur pour faire des champions ?

G.B : elles ont fleuri, il y a longtemps maintenant. Désormais, elles rouillent, et les nouveaux bassins que l’ont construits sont très beaux mais plutôt pensés pour une utilisation ludique. La natation de compétition n’intéresse guère nos élus. Les bassins qui vont accueillir la natation aux Jeux Olympiques (à Nanterre) seront démontés ensuite, et celui où se disputeront la natation synchronisée, le water-polo et le plongeon a été construit en vitesse faute d’équipements aux normes. En cette année olympique, on a fermé la piscine de Montreuil qui disposait d’un des trois plongeoirs de 10 mètres en France où s’entraînaient les plongeurs olympiques. Désormais, ils partent de l’Insep dans le bois de Vincennes à 7 heures pour s’entraîner à 11 heures à Strasbourg. Ce n’est pas un gag… Ce n’est pas pour rien que plusieurs des meilleurs nageurs français partent toujours plus nombreux s’entraîner aux Etats-Unis ou en Italie.

P.H : qu’est-ce qui fait aujourd’hui un bon entraîneur ?

G.B : c’est un mélange de connaissances techniques, de flair, de psychologie et de charisme. Ce sont aussi les bons nageurs et les bonnes conditions d’entraînement qui font les bons entraîneurs.

P.H : que penses-tu des chances de la France aux Jeux de Paris ?

G.B : Léon Marchand, Maxime Grousset, Florent Manaudou, Mewen Tomac, Yohann N’Doye Brouard et nos nageurs d’eau libre ont des chances de podium, voire de victoire. On a également, une belle équipe de water-polo masculine. Chez les filles c’est plus incertain. On va évidemment souffrir de la comparaison avec les grosses nations, mais on aura des raisons de se réjouir.

P.H : crois-tu que l’on peut s’attendre à des records ?

G.B : tant qu’ils ne seront pas émoussés par l’accumulation des courses les meilleurs nageurs pourront en battre. Mais aux Jeux, l’important c’est la médaille !

Propos recueillis par Pascal Hébert