Je vous conseille vivement la lecture du roman uchronique de Philip Roth, Le complot contre l’Amérique, publié en 2004. Il se déroule en 1940. Charles Lindbergh, le premier aviateur à avoir traversé l’Atlantique treize ans auparavant, triomphe à l’élection présidentielle contre …Franklin Roosevelt. Une fois installé à la Maison Blanche, cet admirateur du nazisme et membre du très isolationniste Comité America First signe un pacte de non-agression avec Hitler.

Eh bien, nous y sommes. Donald Trump et ses affidés milliardaires ne s’en cachent plus. Ils sont de cette veine-là : des fascistes patentés. Le pacte de non-agression conclu avec Poutine, nouvel Hitler, en est le bel exemple.

Quels sont les ingrédients fondamentaux du fascisme ? Primo, le culte du chef à qui l’on doit une obéissance aveugle. Secundo, le culte de la violence et de la virilité masculine. Tertio, la détestation de la démocratie libérale réduite au rang d’outil pour accéder au pouvoir et s’y maintenir par tous les moyens. Quarto, le soutien indéfectible des puissances de l’argent, industrielles et financières. Quinto, la propagande et la désinformation érigées en méthode de gouvernement et de contrôle des masses populaires. Sexto, l'intimidation puis la neutralisation des opposants « mauvais citoyens ». Septimo, la désignation de boucs émissaires pour expliquer tous les malheurs. Octavo, le cynisme absolu et l’absence de morale. Nono, l’impérialisme guerrier : l'objectif de domination justifie des conquêtes territoriales. Decimo : une ambition d'économie autarcique.

L’Amérique est duale. Depuis la fin du XVIIIe siècle, nous avons adoré le pays des Pères fondateurs, le pays de la Terre Promise pour des générations de migrants, le pays de la prospérité matérielle - « The American way of life », le pays défenseur de la démocratie universelle contre les totalitarismes du XXe siècle. Nous devons énormément à ce pays-là. Mais il existe une autre Amérique, celle des intérêts particuliers, celle des crimes de masse commis contre les populations amérindiennes, celle des persécutions contre la minorité noire longtemps asservie et encore stigmatisée, celle du Ku Klux Klan et des suprémacistes blancs, celle des fanatiques d'un christianisme moyen-âgeux, celle des climatosceptiques. Or, c’est cette dernière qui s’impose aujourd’hui. La table des relations internationales en est renversée.

Confirmation : l’Organisation des nations unies ne sert plus à rien (son bilan est d’ailleurs consternant depuis sa création en 1945). Son impuissance crasse en fait un clone minable de la Société des nations, qui, dans l’entre-deux-guerres mondiales, fut incapable d’empêcher la déflagration suivante.

Les Européens sont pris de court. Ils ne sont pas prêts. Quelle naïveté d’avoir cru qu’ils seraient protégés ad vitam eternam par le géant « frère » américain et son parapluie nucléaire ! Se souvient-on qu’en 1950, un projet de communauté européenne de défense avait été lancé à l’initiative de la France ? Il ambitionnait dans le contexte de guerre froide de doter l’Europe de l’ouest de moyens militaires permettant de s’émanciper de la tutelle américaine et de l’OTAN. Quatre ans plus tard, à cause des oppositions gaulliste et communiste qui ne voulaient pas entendre parler d’un réarmement de la RFA, Pierre Mendès France enterrait l’affaire. Avec le recul, on mesure la catastrophe.

A propos de l’Ukraine, je me plais à envoyer dans les dents blanches du clown triste de Washington la saillie de Winston Churchill à l’adresse de son Premier ministre Neville Chamberlain au lendemain des accords de Munich (septembre 1938) - qui virent le Royaume-Uni et la France se coucher devant Hitler en ses ambitions territoriales en Tchécoslovaquie : « Entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur, et vous allez avoir la guerre. »

Eh bien, nous y sommes.

Gérard Leray