Faust. La représentation, qui s'échelonne du 6 novembre au 3 décembre, ne déroge pas à la grande mission de Jacques Kraemer : rapprocher du public les grands mythes théâtraux, Alceste, Shylock, et maintenant le héros de Goethe. Vous n'avez pas (re)lu la pièce ? Tant mieux !
Peut-être, en sortant nuitamment de ce petit théâtre, caché au coeur de Mainvilliers, aurez-vous le sentiment d'avoir enrichi votre connaissance de ce héros, humblement humain, qui troque son âme contre le fantasme de différer sa mort. La force des héros de la fiction est d'éclairer le monde quelle que soit l'époque, et l'on peut dire que le dialogue entre ce Faust, incarné par Jacques Kraemer, et Méphisto, par Aline Karnauch, actualise les problématiques. Car le tentateur est devenu une tentatrice, rouée, redoutable d'ironie et de lucidité, jouant de tous les ressorts de la séduction. Chacun dans son rôle, les deux passent en revue l'humaine condition, ils étrillent le monde tel qu'il va : sables qui avancent inexorablement, guerres explosant la planète quand il faudrait traiter celle-ci avec égards, humanité broyée par la cupidité et les haines... Elle n'y va pas par quatre chemins, cette diablesse sautillante, insaisissable, accablant d'un discours de procureur celui qui a accepté de signer le pacte de son sang.
Si incroyable que cela paraisse, les rires fusent dans la salle : l'expression du tragique se nourrit de la veine comique, de la vitalité inhérente à l'art théâtral - Molière n'est pas loin, souvent, ni la parodie des pauvres discours de l'actualité. Les percussions de Georges Pennetier scandent les tableaux successifs, contribuant à leur effet saisissant, rapprochant musicalement le spectateur du drame qui se joue.
Jacques Kraemer a annoncé que ce spectacle serait le dernier où il apparaît. Ce n'est pas le moindre enjeu de ces scènes méditatives et enjouées, ces vanités admirables dont il a le secret : l'art, la création, n'est-ce pas ce qui, toujours, sauve de l'inhumanité ordinaire ?
Chantal Vinet