Très, très marqué par ce livre iconoclaste et salutaire, je vous propose de partager quelques extraits de l'ouvrage collectif LE CHANT DU CYGNE (éditions Tumult).

"Ce que tous ces scénarios ont en commun, c’est la prévision d’une certaine perte de contrôle de la part des autorités, qui répond, en effet, à une absence de contrôle sur des changements aussi vastes que le changement climatique en cours."

"Quant à ceux qui se trouveront dans des environnements sociaux relativement stables, ils seront probablement confrontés à un État totalitaire et à une « masse » qui craint toujours plus la « barbarie derrière les murs »."

"Contrairement à ce que l’on pourrait croire c’est vers la fin du sprint qu’on arrive à notre vitesse maximale. Tout l’être est alors disposé à fournir l’effort suprême, à réaliser la parfaite coordination entre le mouvement musculaire, la circulation sanguine, les battements du cœur et la respiration. C’est le moment où l’on « donne tout », juste avant de devoir accepter que la fatigue s’invite avec force dans tout notre organisme. L’accélération des dernières années de l’expansion de la civilisation thermo-industrielle et la dévastation planétaire qu’elle implique semble désormais bien correspondre à cette dernière phase du sprint. On dirait même que l’organisme est déjà en train de lâcher."

"À l’exception des zélotes du progrès - béats et béotiens dans leur perception d’un temps historique qui s’autoreproduirait automatiquement au rythme de lois immanentes, et donc impératives, en portant l’humanité de triomphe en triomphe - , plus personne ne dort tranquillement. Même les apprentis sorciers qui composent la communauté scientifique sont en émoi (…) et tous s’alarment de l’entrée de Pères Ubu dans la salle de commande, intelligents et sensibles comme du béton."

"Il existe également une autre raison pour laquelle on reste inerte face à la catastrophe. L’analogie courante entre notre civilisation et le Titanic ne découle pas seulement de la correspondance entre la société techno-scientifique actuelle et ce chef-d’œuvre d’orgueil de la technologie navale de l’époque (…) Cette analogie est aussi le fruit d’un espoir secret et confortable quant à l’issue finale : après tout, près d’un tiers des personnes à bord du célèbre navire a survécu (il est vrai qu’en 1912 un SOS fut lancé et que d’autres embarcations se rendirent sur place pour lu prêter secours, alors qu’aujourd’hui…, aujourd’hui personne ne viendrait)."

"Mais lorsqu’on prend une autre métaphore souvent utilisée pour décrire la situation actuelle, celle du train lancé à toute vitesse vers le gouffre, alors les choses changent. Parce que ce n’est que lorsqu’on sera précipité dans le vide qu’on saura avec certitude que c’est vraiment la fin. Sinon, et jusqu’au dernier moment, il reste toujours une possibilité : serrer le frein d’urgence. Le brusque freinage ferait sursauter les voyageurs en les détournant de leurs bavardages, de leurs affaires, de leur torpeur post-digestive ? Oui, et alors ? Leurs bagages voleraient dans les airs en subissant des dégâts plus ou moins graves une fois retombés par terre. Oui, et alors ? Une série de freinage irriterait tous ceux qui, à bord, souhaitent arriver à destination sans secousses et le plus vite possible ? Oui, et alors ? A la folle vitesse où court ce train, un coup de frein trop improvisé risquerait un déraillement qui pourrait avoir de terribles conséquences ? Oui, et alors ? L’alternative est de toute façon certaine et même pire : le gouffre, qui engloutira tout et sans distinction."

"Le frein d’urgence se trouve dans tous les compartiments, il suffit de le tirer. Avec intelligence, avec attention, avec détermination. Avec une force autonome, univoque, intransigeante. Puisse la grade catastrophe sourde et invisible de la vie quotidienne être enfin dévoilée et arrêtée par une petite catastrophe volontaire munie d’une évidence pressante."

"Albert Speer, architecte et ministre de l’Armement et des Provisions du 3ème Reich : « J’ai étudié le phénomène du dévouement, souvent aveugle, des techniciens à leur tâche. Etant donné que la technologie était moralement neutre, ces gens étaient dépourvus du moindre scrupule en ce qui concerne leurs activités. Plus technique était le monde que nous imposait la guerre, plus dangereuse était l’indifférence des techniciens face aux conséquences de leurs activités anonymes. »"

"Comment Einstein a-t-il pu continuer ses travaux scientifiques quand il savait que, comme il l’aurait écrit dans une lettre en 1917, « tout notre progrès technologique, tant loué, et notre civilisation en général, sont comme une hache entre les mains d’un criminel pathologique » ? pourquoi n’a-t-il pas arrêté d’élaborer cette terrible hache ? Einstein l’avoue, et nous montre que son attachement à sa recherche scientifique ne vient pas de la volonté de faire du bien : « Je ne peux me tenir à l’écart de mon travail. Il me tient inexorablement prisonnier. »"

"Plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les gorge ; ils se fortifient d’autant et sont toujours mieux disposés à anéantir et à détruire tout."

"DIEU EST MORT, LONGUE VIE AU WEB
Le crépuscule des idoles doit encore venir.
La misère terrestre existera tant que la promesse d’une autre vie résidera dans le cœur et dans l’esprit des opprimées.
Le ciel a abdiqué en faveur des écrans.
Le marteau n’a jamais trouvé un ennemi plus fragile.
Que l’ardeur iconoclaste de la liberté farouche se déchaîne sur les colonnes érigées au nom de cette nouvelle divinité.
Mais en conscience n’est-ce pas un extrême malheur que d’être assujetti à un maître de la bonté duquel on ne peut jamais être assuré et qui a toujours le pouvoir d’être méchant quand il pourra ?"

"L’industrialisme ne signifie pas uniquement la production d’une montagne d’objets nuisibles, la machinisation et la robotisation du présent, mais il tend également à contracter à la fois le passé (en détruisant les autonomies et les savoir-faire, et en dévastant les conditions matérielles qui rendaient une vie possible hors de la dépendance industrielle) et l’avenir en les condamnant à un présent perpétuel. La production de déchets qui dépassent l’échelle de plusieurs générations, et peut-être même celle de l’humanité, en est un clair exemple. Le présent déterminé par la production industrielle s’étend alors indéfiniment jusqu’à engloutir tout ce qui pourrait être l’avenir. C’est une rupture inouïe qu’avaient déjà soulevée les critiques lucides de l’énergie nucléaire : non seulement l’existence de telles centrales conditionne fortement, au vu de leur dangerosité, les possibilités de création d’un monde autre que celui technicien et autoritaire, mais les déchets radioactifs qu’elles produisent en masse hypothèquent tout horizon futur. Un monde sans déchets radioactifs, avec tout ce que cela comporte, ne figure déjà plus parmi l’éventail des possibles."

"Quelle sorte de liberté et de rapports sociaux peut-on désirer en respirant un air toxique, les deux pieds plantés dans une terre empoisonnée, tout en buvant de l’eau saumâtre un jour sur deux ? Si c’est déjà le sort réservé avec indifférence à toute une partie de l’humanité sacrifiée sur l’autel du progrès techno-industriel (là où nos métaux précieux et terres rares sont extraits, là où nos déchets toxiques sont déversés, là où nos industries les plus polluantes ont été délocalisées), son extension sans frein à l’ensemble de la vie sur terre devrait nous dire quelque chose. Aussi vrai que la petite question posée ci-dessus, tout sauf rhétorique, contient déjà sa réponse : détruire tout ce qui nous détruit est devenu plus vital que jamais…"

"Un peu moins de deux ans ont passé depuis le bel incendie de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris en 2019, et beaucoup gardent peut-être un souvenir ému des flammes iconoclastes dansant sur ses charpentes, jusqu’à provoquer l’effondrement de sa flèche, qui pour une fois illuminait quelque chose. L’immonde édifice religieux incarnant si bien la continuité de l’oppression à travers les siècles, avait certes échappé de peu au courroux des Communards armés de barils de pétrole, mais n’avait rien pu faire face à la modernité trompeuse de fée électricité."

"En ce mois de févier boueux de 2021, quelque part dans le massif de Conches-Breteuil (Eure), une poignée d’experts forestiers et d’architectes bottés arpente les sentiers en quête d’arbres singuliers. Il scrutent, mesurent, inspectent, sélectionnent, poinçonnent, puis marquent d’un point rouge une vingtaine de géants. Ces arbres dont le pourtour affiche jusqu’à 280 cm sont tous des chênes remarquables âgés de cent à deux cents ans. Ils doivent être abattus d’ici fin mars avec un millier de leurs semblables sur tout le territoire (de l’Orne au Jura), afin que la charpente de la nef et du chœur de l’odieuse cathédrale puisse être reconstruite à l’identique, selon la promesse du monarque de service aux bigots éplorés. Ah, mais c’est que la notion de patrimoine, cette invention étatique destinée à trier ce qui peut être démoli du reste, est sacrée. Et qu’importe si cette flèche n’était qu’un ersatz ajouté au XIXème siècle ou que la fameuse charpente médiévale avait été façonnée avec les moyens du bord, soit avec de jeunes et ordinaires porteurs de glands. Désormais, la République exige au contraire du grain fin, du sans-nœud, du bien droit, du pluricentenaire même, pour tenter de redorer le blason calciné du crapaud de Nazareth."

"Cela n’a pas de sens d’attendre l’effondrement de la civilisation, ça n’a pas de sens d’attendre un mouvement de masse qui chercherait à l’éviter par un changement du gouvernement, ça n’a pas de sens de mesurer avec précision quelle distance nous sépare encore de l’abîme apocalyptique qui s’entrevoit déjà devant nos yeux. Il faut tout bloquer. Si ce n’est pas la solution, c’est certainement un défi. Un défi pour découvrir ces fils qui fournissent de l’énergie à l’oppression de la politique comme à l’aliénation de la société, à la course démentielle à l’armement comme à la course folle de l’économie, au pouvoir comme à la servitude."

"Quand on songe à ce que signifierait une augmentation de 60% de la production électrique d’un pays déjà hautement nucléarisé (et donc productif en la matière) en terme de superficie d’éoliennes pour couvrir es besoins dévorants de l’industrie, des transports et de la communication… Il devient clair que la « question énergétique », avec ou sans nucléaire, avec ou sans turbines à vent, ne peut être que celle du refus de la civilisation techno-industrielle et marchande, de ses ravages, de son organisation, de ses valeurs et de son développement, soit de son existence même. Parce qu’aucune liberté n’est possible les deux pieds irradiés dans la merde, et pas non plus entre deux ondes arrosées par le grésillement des moulins de notre servitude."

"La transition énergétique devra s’accomplir de gré ou de force, la terre devra être percutée, percée et broyée davantage, comme jamais auparavant même, afin d’en extraire toutes les matières premières et les métaux nécessaires à la perpétuation de cette civilisation mortifère. Les usines devront tourner à plein régime pour inonder le monde de leurs moteurs électriques, de leurs circuits imprimés, de leurs semi-conducteurs et de leurs nanomatériaux. Le fanatisme des croisés du progrès n’est disposé à reculer devant rien ni personne. Ils construiront des digues pour faire face à la montée du niveau des mers. Ils érigeront de nouvelles centrales nucléaires et couvriront la surface de la terre de panneaux solaires et d’éoliennes pour assurer le flux continu du courant électrique. Ils développeront des procédés de captage des gaz à effet de serre pour remplacer les « poumons de la planète » qui sont inlassablement coupés, rasés et dévastés."

"Pourtant, face aux forces qui sont en train de se déchaîner, toute leur ingéniosité et leur folle croyance en des solutions techniciennes ne serviront qu’à prolonger l’agonie. Elles ne feront que rendre en passant toujours plus improbable un changement de cap radical vers une perspective de liberté et d’autonomie, au sein d’une changement climatique désormais irréversible. La nature joue toujours la dernière carte."

"Face au désastre climatique qui s’emballe, la société industrielle appuie sur l’accélérateur. Transition énergétique, innovations technologiques et renouveau industriel sont appelés à la rescousse des rouages qui se grippent et des moteurs qui crachotent."

"Dans son sillage, le navire titanesque du progrès laisse un paysage affligeant de béton et d’acier, d’usines et de chaînes technologiques, de pollutions et de plastiques, de chimères agrochimiques et d’irradiations durables. A bord de ce navire, le confort des cabines peut être amélioré, la salle des machines réorganisée, les officiers au gouvernail remplacés, mais la liberté n’y est pas possible. Ce qui nous reste alors, c’est de l’envoyer au plus vite par le fond et oser le saut dans les eaux libres."

Si tout cela a aiguisé votre appétit ou votre curiosité, l’ouvrage est disponible auprès du site www.librairie-publico.com