Amanda Sthers est toujours surprenante. Après Lettre d’amour sans le dire, son précédent roman, elle nous revient ce printemps avec ce délicieux café suspendu. Corsé à souhait, mais laissant dans la bouche un doux parfum de nostalgie, Le café suspendu d’Amanda est une niche à surprises. Comme un peintre devant sa toile, la romancière cinéaste s’est installée dans ce café de Naples pour y surprendre des histoires de femmes et d’hommes au demeurant ordinaires, mais dont la vie devient de véritables romans. Elle a couché sur sa toile une ambiance impressionniste avec un style scintillant empli de douceur, de poésie, d’humour et d’amour. Dans ce livre qui se compose comme des nouvelles, Amanda écrit avec une humanité rassurante en ces temps de colère.
Jacques Madelin, caricaturiste à ses heures et fin observateur de la vie du Café Nube, véritable théâtre où tout peut basculer, est le personnage principal de ce roman. S’il avoue avoir perdu foi en l’amour, Jacques Madelin n’en aime pas moins ses contemporains. Il les croque avec ses mots pour en dresser non pas des caricatures mais bien de vrais portraits. Dans ce café, on rencontre des couples qui se font et se défont. Il y a aussi ce fabuleux docteur Chen. Lui ne veut voir que des malades bien portants. Il y a ceux, désespérés comme Lucie, qui voient un miracle arriver et l’amour démarrer à l’improviste. La jalousie fait son apparition avec la belle histoire de Fernanda etson sac en croco. Dans L’écrivain sans visage, le narrateur se dévoile lui aussi. Comme les autres. L’occasion d’y lire cette belle pensée : « A vrai dire, à chaque histoire d’amour, on pense ne plus faire qu’un avec l’autre et la vie nous charge de nous rappeler qu’on est toujours seul face à nos voyages. Et parfois, parfois… Et j’espérais être ce parfois. »
Avec Le café suspendu, tout comme Charles Trénet avec sa malicieuse chanson Le grand café, Amanda Sthers nous invite à nous installer en salle, humer le temps qui passe et à bien comprendre que chaque instant est toute une vie. Dans cet endroit où l’on prend le temps de vivre, Amanda n’a eu qu’à ouvrir les yeux et surtout son cœur pour nous livrer l’un de ses meilleurs romans ! Un roman suspendu… bien entendu.
Pascal Hébert
Le café suspendu, d’Amanda Sthers, éditions Grasset, 229 pages, 19 €.
Interview d’Amanda Sthers
Amanda, d’où vient cette idée de roman lié au café suspendu ?
C’est l’émotion que m’a procurée cette tradition napolitaine « le caffè sospeso" qui en est à l’origine. Dès que j’en ai entendu parler, l’écriture est devenue nécessaire.
Explique-nous le fonctionnement du café suspendu ?
Quand on paie un café à Naples, on peut en régler un second qui est mis à l’ardoise pour quelqu’un qui n’a pas les moyens de s’en offrir un. On offre une part de vie sociale, d’humanité. Dans la beauté de ce simple geste, il y a quelque chose de très actuel, le fait que nous soyons tous liés par ce fil invisible a été mis en exergue par la pandémie récente. On met un masque pour protéger celui qu’on ne connaît pas. L’Humanité est un tout, et dans cette société ultra individualiste, il est bon de le rappeler.
Le Café Nube existe-t-il ?
Maintenant oui ! Dans mon coeur, dans mon imaginaire et mes souvenirs, et j’espère bientôt pour plein de lecteurs… Mais j’ai bien peur que vous ne le trouviez pas dans le « vrai » Naples.
Le narrateur est un homme qui ne croit plus en l’amour. Que recherche-t-il auprès de ses contemporains ?
Je ne dirais pas qu’il ne croit plus en l’amour mais qu’il en a souffert et qu’il en a maintenant une peur bleue. Alors, faute de s’incarner dans une histoire, il observe celle des autres, vis par procuration, ressens ce qu’ils ressentent tout en restant dans un confort qui protège son coeur.
Ce roman est composé comme des nouvelles avec des personnages que l’on croise au gré de tes envies dans chacun des chapitres. Était-ce une volonté ?
C’est ce qu’on appelle un roman à nouvelles car toutes les histoires sont liées et on retrouve certains des personnages d’une histoire à l’autre. Il est en fait composé comme un opéra italien, avec une ouverture, des mouvements, des intermezzo. J’aimais bien la temporalité de lecture que cela permettait. A la fin d’une histoire, on pose son livre et on y revient le lendemain comme on retourne au café, retrouver ses copains.
Quel est le lien qui unit tous tes personnages ?
Ils sont tous à un moment de bascule de leur vie. Et comme par ricochets, un café suspendu est toujours à l’origine ou à la fin de leur histoire.
L’amour, la jalousie sont présents, mais il y a aussi une forme de désespoir enfoui dans tes personnages. N’est-ce pas une part de notre solitude que l’on croise dans les cafés ?
Avant, les solitudes pouvaient se retrouver dans les cafés et il suffisait d’un regard ou un sourire pour que la solitude s’adoucisse et d’un mot pour qu’on ne soit plus seul. Aujourd’hui les réseaux sociaux créent des liens artificiels et exacerbent cette solitude et on sent une violence exploser.
Quel est ton rapport avec les cafés, Naples et l’Italie ?
J’aime observer les gens. Naples a des personnages hauts en couleur. Et le caffè sospeso est pour moi la preuve d’une forme de tendresse qui flotte dans une ville qui a pourtant mauvaise réputation.
Ce roman est cinématographique. Pourrais-tu le décliner en film?
Je l’imagine plus volontiers comme une série et les producteurs s’affolent déjà ! Je réfléchis au bon écrin pour mon café suspendu et mes personnages...
Amanda, peut-on croire au bonheur dans ce monde qui cloche de plus en plus ?
On peut y croire parce qu’il nous appartient de le fabriquer. De faire le choix d’ouvrir les yeux, de tendre la main, ou déjà pour commencer un café…
Propos recueillis par Pascal Hébert