Philippe Bihouix, Le bonheur était pour demain, rêveries d’un ingénieur solidaire, éditions du Seuil, 2019.
La première partie de cet essai explore toutes les promesses de la technologie moderne sensées sauver la planète : la robotisation, la numérisation, le nucléaire, les scénarios les plus fumeux pour réduire la production des gaz à effet de serre ou faire écran au réchauffement climatique : enfouir le CO2 dans les profondeurs de la terre, ensemencer les océans d’oxyde de fer pour réduire leur acidité, saupoudrer l’atmosphère de sel pour freiner le rayonnement solaire…
En fait, toutes ces innovations nécessitent une énorme dépense d’énergie pour leur mise en œuvre. Par ailleurs, les nouvelles technologies informatiques sont gourmandes en minerais rares qui provoquent une accélération de l’extraction minière et la destruction des écosystèmes. La prolifération des appareils électroniques produit une accumulation de déchets difficiles à recycler. L’auteur met le doigt sur une autre conséquence négative de la numérisation : la disparition de millions d’emplois !
Pour réduire la production de gaz à effet de serre, Philippe Bihouix rappelle plusieurs axes majeurs : réduire les transports par avion, bateaux, camions et donc relocaliser la production. Accélérer la transition agricole vers des productions bio, sans engrais chimiques ni pesticides, ce qui entraine en revanche un accroissement de la main d’oeuvre. La réduction de la consommation d’énergie passe aussi par l’isolation massive de tous les bâtiments, créant également un grand nombre d’emplois non délocalisables.
Toutes ces mesures sont bien connues et diffusées mais rencontrent de gros obstacles pour leur mise en œuvre : les anciens qui peuvent témoigner de la dégradation de nos écosystèmes sont traités de « vieux cons », les écologistes lanceurs d’alerte depuis 50 ans sont discrédités comme étant des « Amish » ou des « Khmers verts ». Les élites qui vivent dans des environnements préservés, ne perçoivent pas l’étendue du désastre, les lobbies sont passés maîtres dans l’art de diffuser les thèses climato-sceptiques ou de semer le doute sur l’importance et les conséquences des diverses pollutions.
Pour l’essentiel, dans un monde gouverné par le capitalisme, il est difficile de faire adopter des mesures qui s’opposent à la croissance et aux profits ! La transition énergétique est d’autant plus difficile à réaliser, que nous sommes dans une économie mondialisée et soumis à une forte interdépendance. L’auteur relève que face à ce rouleau compresseur, toutes les bonnes initiatives des citoyens conscientisés et celles des associations de consommateurs sont nécessaires et bienvenues, mais ne font pas le poids ! Pourtant avec le temps on sera certainement contraints à la sobriété comme étant une « impérieuse nécessité » remarque l’essayiste.
Se risquant à la prospective, Philippe Bihouix imagine « un scénario dictatorial assez probable avec les outils numériques qui permettent un contrôle social efficace., la perspective d’un effondrement proche lui semble inévitable et nous invite à regarder vers la sortie de secours ou le canot de sauvetage … Mais l’ingénieur garde un soupçon d’optimisme arguant que le pire n’est jamais certain. Pour l’auteur, « on ne sauvera pas le monde par la technologie » et nous invite « à un sursaut moral et à retrouver collectivement le chemin de la vertu ! »
Un essai très intéressant bourré d’observations pertinentes et dont l’analyse de la situation nationale et internationale semble d’une grande justesse, s’il date déjà de trois ans il se révèle d’une étonnante actualité.
Elisabeth et Denys Calu
Philippe Bihouix est ingénieur diplômé de Centrale, spécialiste de l’épuisement des ressources minérales et promoteur des « low-tech » . Auteur de plusieurs essais dont L’Âge des low-tech et Le désastre de l’école numérique.