La doctrine nazie considérait l’art moderne comme dégénéré. Les artistes étant atteints d’anomalies congénitales graves, il fallait, pour leur bien, les soigner en les envoyant se reposer dans des camps de concentration.
Dès 1940, une commission américaine, présidée par Eleanor Roosevelt, dresse une liste de 200 noms d’intellectuels (peintres, scientifiques, philosophes, journalistes...) à protéger et à exfiltrer d’Europe. Marseille étant encore en zone libre et synonyme d’ouverture sur les Etats-Unis, l’Emergency rescue Committee y dépêche Varian Fry (1907-1967), chargé d’organiser la fuite des personnalités les plus menacées.
Journaliste humaniste engagé contre la propagande allemande depuis un séjour à Berlin en 1935 qui l’a horrifié, Varian Fry accepte la mission. Dès son arrivée à Marseille, épaulé par le consul des Etats-Unis et par une équipe d’une vingtaine de personnes au plus fort de son activité, il met en place un système de visas et de faux papiers, allant jusqu’à se compromettre avec le milieu de la pègre marseillaise.
D’abord installé dans une chambre de l’hôtel Splendide - au pied de la gare Saint-Charles -, il loue un appartement dans le centre-ville pour accueillir les candidats au départ. Les demandes affluent : il faut organiser les exfiltrations via l’Espagne et le Portugal, mais aussi intervenir sur place quand des intellectuels ont été raflés par la police française.
Max Ernst fait partie de ces artistes emprisonnés au camp des Milles, près d’Aix-en-Provence. Dans des conditions de survie épouvantables, lui et d’autres peintres, sculpteurs, écrivains, peignent, écrivent, dessinent. Il en reste quelques traces sur des murs du camp.
De cette résistance artistique, le musée Cantini de Marseille hérite des œuvres les plus spectaculaires en provenance de la maison Air-Bel, villa louée par l’équipe Fry, à 5 kilomètres du centre-ville. Sous l’impulsion d’André Breton, Max Ernst libéré du camp des Milles, André Masson et d’autres artistes candidats à l’exil, la résistance à l’oppression s’exprime : peintures, jeu de cartes, dessins, chansons...
Que reste-t-il de ces temps obscurs ? Des faits historiques : le camp d’internement des Milles, ouvert au public, des photos, des témoignages, des œuvres d’art, l’héroïsme de Varian Fry (reconnu Juste parmi les nations). Une actualité glaçante, preuve que l’Histoire se répète. Et la certitude de la nécessité de l’Art sous toutes ses formes, coeur et poumon de l’existence, l’Art que toute dictature néglige, contrôle, voire étouffe et supprime.
Suite à la reconduction de Rachida Dati au ministère de la Culture par le Premier ministre Michel Barnier, mise en examen pour "corruption passive", "trafic d'influence passif" et "recel d'abus de pouvoir" dans l’affaire Carlos Ghosn, des faits qu’elle conteste, j’ai davantage confiance et foi en l’Art qu’en la politique telle qu’elle est pratiquée par nos élus actuels.
Anne Loubeau