Lors du conseil communautaire de Chartres Métropole du 12 septembre 2024, J.-P. Gorges a gratifié notre assemblée d’une conférence improvisée au sujet de l’énergie, un plaidoyer détaillé pro-nucléaire, comme à son habitude. Puisque je me suis interdit de céder à sa provocation, je ne suis pas intervenu en séance pour le contredire, ce qui lui aurait ouvert un nouvel espace pour tourner mon point de vue en dérision et développer en conclusion la profondeur de ses convictions techno-solutionnistes.

J’évoque le terme de convictions à dessein, car à ce stade, il s’agit véritablement d’une religion technologique. Selon ce spécialiste éminemment compétent (comme dans tous les domaines imaginables d’ailleurs) la forte hausse du prix de l’électricité constatée en 2023 n’a rien eu à voir avec le conflit russo-ukrainien, mais avec l’arrêt de la moitié des tranches de production nucléaire en France, d’où l’obligation d’importer des millions de kilowatt-heure. Leur remise en route explique désormais le retour à des tarifs compétitifs et justifierait donc les politiques de redéploiement de l’outil nucléaire pour répondre aux enjeux d’indépendance énergétique et de décarbonation de l’économie. Commentons le détail des arguments développés par le président de Chartres Métropole :

- L’uranium n’est pas une matière fossile mais un minerai : c’est très juste mais l’extraction de minerai n’est pas neutre. Elle nécessite de l’énergie (essentiellement fossile) comme toutes les industries extractrices, des coûts diplomatiques (au mieux) et militaires (au pire) pour assurer l’accès dans le monde aux sols qui contiennent la ressource et la destruction d’écosystèmes et le déplacement ou l’empoisonnement de populations qui ont le malheur d’habiter au-dessus de ces biens précieux, forme moderne de la colonisation.

- Un récent prix Nobel a trouvé le moyen de réduire la demi-vie radioactive des déchets de la fission de plusieurs dizaines de milliers d’années à 30 minutes : il s’agit de Gérard Mourou, qui a obtenu ce prix en 2018 pour ses travaux sur le laser à haute puissance. Pour le PDG de la société ORANO, il s’agirait plutôt de descendre à 300 ans, sur la base d’expériences conclusives faites sur quelques grammes de déchets au prix de la consommation d’une très grande quantité d’énergie, bref on n’y est toujours pas…

- A cause des écologistes, les recherches liées à l’industrie nucléaire ont été arrêtées, ce qui a ralenti le déploiement de ces solutions qui pourraient nous assurer notre sécurité et notre prospérité énergétique : la décision initiale de stopper la filière nucléaire au début du premier mandat de Macron était plutôt une décision de bon gestionnaire hors toute considération de sécurité publique, le déploiement nucléaire ne permettant pas à lui seul de relever le défi de la décarbonation (on ne peut pas tout électrifier...) surtout à court terme, à la différence des solutions de sobriété et d’énergies renouvelables. L’échec cuisant de l’EPR de Flamanville (19 milliards d’euros au lieu de 3 et 17 années de travaux au lieu de 5) illustre parfaitement cette impasse.

- Je ne crois pas à la fusion mais à la fission du thorium, plus disponible, efficace et moins dangereux qui nous assure 10 000 ans d’autonomie au rythme de notre consommation électrique actuelle : « moins dangereux », c’est donc que la filière uranium-plutonium actuellement en fonction est bien dangereuse…

Pour conclure, je partage avec l’astrophysicien Aurélien Barrau (à lire : l’hypothèse K, éditions Grasset), la certitude que l’accès bon marché et durable à une énergie abondante, sûre et bon marché, serait la dernière malédiction de notre civilisation industrielle et de consommation, le dernier clou au cercueil de l’humanité sur la planète terre. Cette ébriété énergétique lèverait tous les freins à la poursuite de la destruction du vivant par l’exploitation sans entrave des sols et des océans et la production décomplexée des polluants et déchets les plus divers.

Jean-François Bridet, conseiller communautaire