La nuit tombe sur la Nouvelle-Calédonie. Début de nouveaux événements. Plusieurs quartiers du Grand Nouméa sont en feu. Les forces de l'ordre tentent d'éteindre les incendies. Celui-là couvait depuis quelque temps.

Temps long, 1853, prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France. Temps long, fin XIXème siècle, arrivée des bagnards, français surtout, algériens un peu. Des "malgré eux" dont descendent énormément de familles calédoniennes. Il y aura aussi les colons libres. Et en parallèle les missions. Syncrétisme réussi entre culture kanak et christianisme. Ajoutons les Javanais, Vietnamiens, Wallisiens (deux fois plus nombreux en Nouvelle-Calédonie que sur leur île natale) et le métissage. Kanak, peuple premier au milieu d'une mosaïque d'ethnies.

Temps long, révolte kanak de 1878 contre les Terres volées, pourtant sacrées. Révolte de 1917. Même cause avec en plus l'enrôlement forcé. Puis le silence. Mais une colère réelle transmise de génération en génération.

Temps moyen, années 1980, les "Événements", la guerre civile. Caldoches déplacés, agressés, tués. Ils sont chez eux ici depuis un siècle. Ils n'ont pas d'autres chez eux. Et les Kanak. Pourquoi n'ont-ils pas droit, eux, à l'indépendance ? Des morts chez les indépendantistes et sans justice.

Temps moyen, jour saint. Accords de Matignon. 1988. Table de trois. Rocard, Lafleur et Tjibaou. Le premier laisse les deux leaders se mettre d'accord, les oblige. Le Caldoche devra faire des concessions. Non, la Nouvelle-Calédonie ne sera plus un territoire français comme les autres. Elle entre en voie de décolonisation. Pour le Kanak, l'indépendance ne sera pas immédiate. Mais la paix. Cadeau du ciel, cadeau des Hommes. Des traumas, mais à conjuguer au passé. La paix encore avec l'Accord de Nouméa en 1998.

Temps court. Nous sommes sur une ligne de crête. Si l'on ne marche pas droit dans le dossier calédonien, les tensions vont ressurgir. L'État impartial depuis Rocard prend parti. Macron refuse de reculer le 3ème référendum d'autodétermination en pleine crise COVID. Boycott kanak. Il prend Sonia Backès, leadeure loyaliste, dans son gouvernement. La situation se tend. Pour les loyalistes, le débat a été tranché par les trois référendums. Pour les indépendantistes, la pleine souveraineté est toujours l'objectif.

Reste la question du corps électoral. Qui vote aux élections locales ? Deux légitimités s'affrontent. Deux légitimités justes. Les Kanak qui ne veulent pas devenir encore plus minoritaires dans le vote, eux, peuple colonisé. Les loyalistes qui soulignent que des gens installés depuis longtemps ou nés ici sont sous-citoyens.

Que faire ? Une mission du dialogue comme en 1988 ? Non, faute d'accord local, l'État décide de passer en force. Après les réunions, les manifestations des deux camps, une partie des indépendantistes est passée à l'action. Barrage, blocage, tirs sur les forces de l'ordre. Déjà des gendarmes blessés. Bientôt viendront sans doute les premiers morts. Peu importe le camp, chaque humaniste les pleurera. En attendant la lumière...

De notre correspondant permanent sur le "Caillou".