La première fois que ma mère m’a raconté cet événement, c’était pendant que nous regardions un film : Remember me. À un moment, on voit la petite sœur du personnage principal à l’école et son institutrice marquer la date du 11 septembre 2001 au tableau, puis le personnage principal dans un building regardant dehors et un avion arriver au loin.
À ce moment-là, maman s’est écriée en pleurant : « Oh non, il va mourir ! », et comme ma sœur et moi nous ne comprenions pas ce qui lui avait fait deviner la suite du film, elle nous a tout expliqué avec beaucoup d’émotion.
« Je me souviens exactement où je me trouvais et ce que je faisais ce jour-là. Je faisais les courses avec votre père. En passant devant le rayon hifi, nous avons vu sur tous les écrans du magasin le sommet d’une tour d’immeuble en flammes. Comme il n’y avait pas de son, nous avons cru qu’il s’agissait d’un film. Une fois retournés dans la voiture, nous avons entendu la nouvelle à la radio : un avion venait de s’écraser sur la Tour Nord du Nord du World Trade Center. Je me souviens avoir pensé à un accident, mais lorsque un deuxième a éventré la tour Sud, là, plus de doute, c’était un attentat.
Aux informations, nous avons vu en boucle les impacts des avions, les tours en feu, les gens désespérés se jetant dans le vide, les nuages de cendre et de poussière, la foule au sol courant dans tous les sens. On a appris que deux autres avions avaient été détournés, l’un s’est écrasé sur le Pentagone, un autre dans la campagne alors que sa cible était Washington. Nous avons tous été traumatisés par cette journée. »

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Mes parents sont respectivement hôtesse de l’air et stewart à Air France.
Ma mère était en salle de réserve (un endroit où les navigants attendent qu’on leur donne un vol pour partir dans la journée) à l’aéroport d’Orly. Elle a donc tout vu à la télévision de cette salle, et fut stupéfaite et horrifiée par ce drame. De plus, elle partit quelques heures après à destination de Bangkok. Elle angoissa avant ce vol, car elle ne savait pas à quoi s’attendre alors que des avions civils avaient été détournés aux États-Unis.
Au même moment, mon père était en vol pour Saint-Domingue, et se trouvait au-dessus de l’Atlantique quand un passager lui a appris le drame. Les pilotes avaient été informés, mais ne devaient pas communiquer pour éviter la panique. Le vol fut perturbé car les États-Unis avaient fermé leur espace aérien alors que l’avion était censé le traverser. L’avion a dû tourner en rond très longtemps avant de suivre un nouvel itinéraire plus long. Mon père était inquiet et devait rassurer les passagers. À l’arrivée, il a vu les images, il était sidéré. Il était allé de nombreuses fois à New York et avait évidemment visité les tours, tout comme ma mère.
En 2016, je suis moi-même allé à New-York et j’ai visité le mémorial des tours jumelles du World Trade Center à Ground Zero.

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Il paraît que nous nous rappelons tous de ce que nous faisions ce jour-là ! Je me souviens, pour ma part, que je terminais mes cours à midi. Il faisait beau, la promesse d’un après-midi agréable, Comme souvent, la voiture m’offrait un sas pour passer de l’activité professionnelle à l’activité personnelle et je conduisais en silence. Pas de musique, pas d’auto-radio. J’avais quitté mes élèves sans rencontrer personne de mon établissement. Je devais passer chercher ma fille qui avait terminé ses cours au lycée.
Je me souviens de la voir arriver en trombe vers la voiture, de s’engouffrer dans l’habitacle et dire : « Il s’est passé quelque chose aux États-Unis ! »
Je me souviens d’avoir tourné le bouton de la radio et de la stupeur qui nous a inondées.
Je me souviens de notre silence sur le retour jusqu’à la maison, à l’écoute du journaliste, de sa voix presque sanglotante.
Je me souviens de nous être immédiatement postées devant la télévision et d’être restées longtemps, côte à côte, debout devant l’écran, face à David Pujadas.
Je me souviens des images en boucle montrant les avions percutant les tours.
Je me souviens de la poussière.
Je me souviens des hommes, des pompiers sortant de cette poussière, hagards, comme sortis d’un film de science fiction.
Je ne me souviens pas combien de temps nous sommes restées rivées ainsi face à l’horreur ; à quel moment nous avons bougé.
Les jours qui suivirent, nous avons beaucoup regardé la télévision, pour comprendre, tenter de comprendre.
Je me souviens que nous nous étions dit qu’après ça, rien ne serait plus jamais pareil.

*

C’était un mardi. Je revenais de cours en écoutant France info. J’avais du mal à comprendre ce qui se passait. C’est place des Épars dans les embouteillages que j’ai enfin compris. Ma première réaction a été l’incrédulité puis un malaise.
Le soir, en essayant à la fois de suivre les infos à la télévision et de cuisiner, une projection de graisse est tombée sur mon pied. Une belle brûlure. Depuis, je ne cuisine plus nu pied. Et j’ai toujours une petite trace sur le pied.

La mémoire du « 9-11 » (1)
La mémoire du « 9-11 » (2)
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« 9-11 »
Il y a 19 ans…