J’étais au volant de ma voiture, je rentrais de Châteaudun à la fin de ma journée de travail inutile, pressée de rentrer chez moi après une journée pénible. Depuis, on a mis des mots : harcèlement au travail.
J’ai allumé la radio… je n’ai pas compris tout de suite. Et puis, stupeur, et presque incrédulité. Je suis arrivée chez moi, où mes trois petites filles et mon compagnon m’attendaient, car le 11 septembre, c’est mon anniversaire.
La télé était allumée. Nous avons échangé nos informations, j’ai regardé quelques images. Des sirènes, de la fumée, un corps qui tombe. J’ai décidé de l’éteindre. Nous avons repris le cours de la soirée. J’ai mis une jolie nappe sur la table. Puis à la fin du dîner, mes filles m’ont offert des dessins, des petits mots, de l’amour. J’ai soufflé mes 37 bougies, peut-être trois grosses et sept petites, je ne sais plus…
*
En retraite officiellement depuis quelques jours, je vaquais ce 11 septembre, autant qu’il m’en souvienne, à des occupations domestiques banales. Les flashs d’information radio, captés au hasard au cours de la journée nous ayant asséné des indications tellement imprécises, tellement changeantes, car manifestement non consolidées, leur contenu nous laissait perplexes et dubitatifs, un peu estomaqués néanmoins vu l’énormité de l’annonce.
Mais l’insistance et la répétition de ces infos ont fini par produire leur effet, une inquiétude grandissante se faisant ressentir, doublée d’une incrédulité encore réelle.
De cette soirée, le premier fait marquant retenu est d’une importance mineure, mais je l’ai parfaitement en mémoire : peu consommateurs habituellement des bulletins d’information télévisés, il fut décidé que nous allions déroger à la coutume, et j’ai changé le récepteur de pièce afin de suivre l’actualité en continu, même pendant l’heure du repas.
Et là, dès la vision des reportages télés, le choc des images nous a abasourdi. La quasi absence de commentaires éclairés, tout au moins au début, ajoutait encore à la confusion ; l’incrédulité et l’effarement nous coupaient le souffle. J’ai encore en mémoire, parfaitement claires, les images de la première tour atteinte avec son panache de fumée, alternativement noire ou grise, selon sans doute l’angle de prise de vue. Mais à ce moment, nous ignorions encore la cause précise du monumental sinistre. L’annonce orale de la percussion par un avion nous semblait tout d’abord incroyable, inimaginable.
Il a fallu les images immédiatement suivantes, avec la vision du deuxième avion impactant et perforant, dans une énorme boule de feu, une tour voisine, au 4/5ᵉ de sa hauteur, pour que la réalité prenne corps dans nos esprits, avec néanmoins l’impression d’assister à un scénario de science-fiction. Inutile de dire que nous étions bouche-bée. Ma belle-mère, présente parmi nous ce soir-là, fit rapidement allusion à une possible attaque politique, et ses souvenirs de la Seconde Guerre, qu’elle avait vécue à Paris, revenaient aussitôt, craignant une menace encore indistincte mais à prendre au sérieux.
L’état de sidération nous étreignait et se formalisait au fur et à mesure que les journalistes annonçaient les dégâts des deux autres avions-kamikazes, surtout ceux causés sur le siège du Pentagone. Les images suivantes ne pouvaient que nous déstabiliser et ajouter à l’effroi : le nuage de poussière – comme un champignon atomique inversé – envahissant le quartier, des silhouettes (?), des meubles (?) basculant dans le vide le long des tours, les gens affolés s’enfuyant des rues voisines et croisant les pompiers qui fonçaient sur les lieux atteints.
Une sensation de terreur, mêlée de sidération nous envahissait, mais aussi un sentiment d’anéantissement, d’impuissance, gênés de n’être que des témoins inutiles.
Les supputations puis les indices plus précis sur l’identité des responsables de ce drame nous plaçaient sur un autre plan, un instant déconnectés de l’horreur vécue en direct. À la stupéfaction succédait la colère, comprenant alors que la vengeance des tueurs pouvait s’abattre partout, à tout moment, même si l’éloignement géographique de l’événement nous procurait dans l’instant une protection illusoire.
J’avoue que la suite de la soirée, alimentée par les images et les commentaires politiques tournant en boucle ne m’a pas laissé de souvenir durable.
Au fil du temps, même si la presse, les chroniqueurs et l’ensemble des médias nous ont souvent ramenés à l’’évocation de l’atrocité de ce drame que ce soit sur les lieux (réhabilitation, commémorations) ou à propos de ses retombées collatérales (Afghanistan, Irak, Libye, attentats en divers pays), le souvenir du 11 septembre, s’est, pour moi, relativement estompé, ce qui enlève une large part de fiabilité à mes réminiscences. Il m’apparaît comme le fait initial d’une longue série de troubles internationaux.
L’impression d’ensemble sur cette période – impression qui, elle, perdure – c’est que la guerre sous toutes ses formes pouvait survenir par les moyens les plus divers, sans théâtre d’opérations localisés et prévisibles et que le terrorisme devenait une menace mondiale permanente, puisque la première puissance économique et militaire, à l’époque, pouvait être frappée à sa tête et se trouvait dans l’incapacité d’apporter une riposte directe.
Si cet effet était celui recherché par les auteurs de cet attentat collectif, je reconnais qu’ils ont réussi à placer la planète dans un climat de peur prégnante et impalpable et de crainte chronique de l’autre.
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J’ai beaucoup parlé de tout cela avec mes enfants mais je n’ai jamais rien écrit ! Cette période de confinement fait remonter les souvenirs. Quand j’étais jeune et pas bien riche, je faisais partie de « Jeunesse et Reconstruction », organisme apolitique et areligieux qui organisait des chantiers internationaux. J’ai fait, par ce biais, des expériences fabuleuses. Entre autres, Paris-Athènes en auto-stop, puis vol jusqu’à Tel Aviv par un petit avion pas cher, séjour de six semaines dans un kibboutz agricole aux portes du Néguev, désensablage des arènes de Fréjus après le drame du barrage de Malpasset, plus de 400 morts, reboisement dans la région de Barcelone, peinture chez des personnes âgées nécessiteuses, voyage en bateau jusqu’à New York pour un prix dérisoire. En contrepartie monitrice de colonie dans le Connecticut. Au retour, visite de Washington, Boston, New Orléans. Mes grandes vacances d’instit me permettaient ces expériences. J’étais avec des étudiants fauchés venant de tous les pays d’Europe, ça m’allait très bien.
Pour en revenir à l’Amérique, je ne saurai jamais pourquoi dès mon adolescence je voulais voir New York. Bref, merci de m’écouter égrener mes souvenirs…
Eté 1966, lorsque notre bateau, le Seven Seas, est arrivé dans la baie de New York, j’ai vécu un moment fantastique. Une semaine de traversée et, au petit matin, dans la brume, les serpentins et les confettis, une explosion de joie : la statue de la Liberté, Manhattan. Je me suis dit : « Mon rêve se réalise ! »
Dans la skyline de Manhattan, pas de tours jumelles, pas encore ! Elles furent construites plus tard, comme le symbole de la puissance américaine, au cœur du Word Trade Center. En 2015, quand je suis retournée à New York avec enfants et petits-enfants, PLUS de Twin Towers ! Entre les deux, l’horreur absolue échappée d’un film de science-fiction ! Un attentat suicide, des milliers de victimes !
J’ai appris le drame du 11 septembre 2001 pendant un cours d’anglais à l’hôtel Maleyssie à Chartres. Thomas Desgrouas, à l’époque, président des jumelages de la ville, est entré brutalement dans la pièce. Il était livide. La nouvelle nous a assommés.
Le premier réflexe a été de dire « Non, ce n’est pas possible ! » Venant de lui, ce ne pouvait pas être faux. Un brouillard de stupeur a envahi les têtes. Personne ne parlait plus, nous étions tous atterrés. Les portables se sont mis à sonner. Mon fils : « Maman, c’est la Troisième Guerre mondiale… »
La réalité était là, personne ne comprenait, même pas les pompiers sur place. La première tour s’est effondrée, puis la deuxième… poussière, hurlements, sirènes… Les explications, les analyses viendront plus tard. La couverture médiatique a été énorme. Presque vingt ans se sont écoulés. Tout n’a pas été dit ! Le choc n’a toujours pas été résorbé !
Je me souviens avoir tenté de mettre des noms et des visages sur ceux qui n’étaient pas là ! Ethan, Barbara, Bryan ? Peut-être avaient-ils raté leur train, eu la grippe, enterré un parent ? Tout plutôt que « ça » ! Je voulais réduire ce cataclysme à une échelle humaine ! Impossible d’intégrer une telle monstruosité ! Tuerie de masse ? Attentat politique ? Les deux, bien sûr ! La cible était le centre névralgique des affaires à New York, la ville debout, la ville qui ne dort jamais, puissante et arrogante.
Le Mémorial édifié sur l’emprise des tours jumelles, porte, gravés dans le marbre noir, les noms de toutes les victimes. L’eau ruisselle au centre. Les larmes ne cesseront jamais de couler.
Voilà le souvenir que j’ai de cette époque ! Je n’ai jamais vu les Tours Jumelles ! Un an avant l’attentat, une de mes amies était montée au dernier étage pour voir la ville de là-haut. Avec le recul, elle a éprouvé des frissons d’horreur.
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« 9-11 »
Il y a 19 ans…