Je pourrai synthétiser en trois mots ce jour, ce malheureux souvenir : horreur, culpabilité et fierté. Je m’explique.
Horreur de ce qui s’est produit, des images choquantes et inoubliables qui amènent encore de la peur et surtout de la colère. Colère, car je n’arrive pas à comprendre comment des êtres humains peuvent être aussi méchants, fous.
Culpabilité car, ce 11 septembre, vers 20 heures, je suis allée à Carrefour pour acheter une bouteille de champagne. Je venais de recevoir les résultats d’examens de santé importants de mon futur bébé : il se développait parfaitement. Très peu de monde dans ce magasin, d’une part à cause de l’heure tardive, d’autre part à cause de l’évènement tragique : l’immense majorité des Français devait être devant le JT. Je suis passée à la caisse avec ma bouteille en me disant « C’est horrible ce que je fais en ce moment »…
De la fierté, je conserve d’un voyage effectué aux États-Unis de magnifiques photos en noir et blanc des tours jumelles.
*
Je me souviens parfaitement de cette terrible journée du 11 septembre 2001. J’étais en classe. Mon cours terminé, je sors dans le couloir pour accueillir la classe suivante, et j’entends dire que les États-Unis sont attaqués. Je ne comprends pas vraiment, mais j’ai hâte de rentrer chez moi pour essayer de comprendre ce qui arrive : est-ce vrai ? Sont-ce des ragots ? Je ne sais rien. Je me sens impuissante et incrédule. Je fais cours. Parce que je suis fonctionnaire, je fonctionne tandis que monte en moi une espèce de malaise indéterminé. Comment est-ce possible ? Ce que j’ai entendu, est-ce une réalité ? Je ne sais même pas identifier la voix qui a annoncé cette nouvelle : était-ce celle d’un élève, d’un collègue ? Mon esprit s’est figé à cette information. Ma classe ne réagit pas, elle est calme, comme à l’ordinaire… J’ai dû être victime d’un malentendu. J’ai mal compris, nous verrons bien après le cours. Je reste bouleversée malgré tout, une impression d’état second s’est emparé de moi…
Quand je sors, je me précipite à la maison. Dans la voiture, j’allume la radio. Toutes les émissions ont été coupées. L’information tourne en boucle : les États-Unis sont en train de subir une attaque au moment même où l’information est donnée. Les journalistes sont abasourdis. Je perçois des mots qui ne font pas sens dans ma tête qui refuse de les accepter : avion, tours jumelles, pompiers, morts, blessés, kamikazes… Mon cœur bat la chamade, je n’en reviens toujours pas.
Il ne me faut que quelques minutes pour rentrer à la maison. Je surgis de la voiture, je me rue vers l’entrée. Mon mari est là, je lui crie : « Allume la télé, les États-Unis sont attaqués ! » Comprend-il ce que je viens de lui annoncer ? Je ne prends pas le temps de développer mon propos. De toute façon, j’en suis bien incapable, puisque je ne sais rien de plus…
La télé montre, sur toutes les chaînes, les images terribles : des avions qui foncent sur les tours jumelles. Un premier, un second, et ces tours immenses éventrées, poussiéreuses, qui vomissent des gens affolés. La folie humaine est en marche. Stupeur, sidération. Nous regardons en boucle les annonces horribles sans avoir l’idée de bouger. Comment le pourrions-nous alors que la gravité des attaques sidère le monde entier ? Les enfants sortent à leur tour de l’école et nous rejoignent. Ils sont déjà au courant de la nouvelle qui s’est diffusée à une incroyable vitesse. Ils n’ont pas traîné, ils sont venus, bride-abattue ! Pas de goûter, pas de rires. L’ambiance est lourde devant la télévision. Des questions surgissent en foule tandis que les journalistes essaient encore de comprendre ce qui peut bien se passer, qui sont ceux qui ont attaqué de la sorte cette puissance mondiale. Qui a osé ? Comment est-ce possible ? Le Pentagone est à son tour attaqué. Combien de rebondissements vont encore s’enchaîner alors que des voitures de pompiers tentent d’approcher le quartier pour sauver des vies ? Les images de personnes qui sautent dans le vide me font frémir. Le désarroi des gens qui sont dans les tours et qui sont confrontés au feu avant de subir l’écroulement des bâtiments est immense. Hébétés, certains s’éloignent du quartier tandis que des sirènes hurlantes animent ce décor apocalyptique. Des nuages de poussière denses montent vers le ciel, l’air est irrespirable. Ceux qui fuient ont plaqué un linge sur leur visage.
Chez nous, nous ne bougeons pas. Je n’ai aucun souvenir de la manière dont nous avons quitté ces images. Je ne travaillais pas le lendemain, mais je crois ne pas avoir éteint la télé, moi qui ne la regarde que le soir quand ce n’est pas elle qui me regarde…
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C’est un collègue d’histoire-géo qui a annoncé l’attaque sur les tours jumelles en salle des professeurs au lycée Rotrou à Dreux. On s’est précipités sur les ordinateurs dès qu’on a compris que ce n’était pas une blague. Cela paraissait irréel. L’assistant américain n’a pas terminé son année au lycée. Trop de remarques de la part des élèves sur les Américains, trop de questions sur ce qu’il pensait du 11 septembre et l’impression qu’ils cherchaient à le provoquer sans arrêt. Certains jeunes ont exprimé leur satisfaction après son départ prématuré.
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« 9-11 »
Il y a 19 ans…