Le monde de la télévision est-il un univers impitoyable ? Est-il aussi cruel qu’on peut le penser lorsque l’on voit à quel point tout semble périssable ? Sans oublier, quand même, ces émissions poubelles animées par des individus sans cervelle. En 1991, Jean Ferrat, visionnaire, avait tellement raison lorsqu’il chantait « Un PAF obscène est à la Une ».

C’est dans le monde de la télévision que nous emmène Nolwenn Le Blevennec. Le titre de son dernier roman La matinale pourrait être d’ailleurs assimilée à une autre chanson de Jean Ferrat : La matinée. Mais la comparaison s’arrête là. Car bien loin de la poésie de La matinée, Nolwenn Le Blevennec nous projette dans le jeu humain peu reluisant de la matinale d’une chaîne de télévision. Et le moins que l’on puisse écrire, c’est que ce n’est franchement pas aussi onirique que le poème de Jean Ferrat. C’est dans les pas de Léonore de Karadec que nous entrons dans la machine infernale de la télévision. Si la narratrice nous révèle les coulisses, elle nous ouvre également les portes de sa vie privée bien arrimée à son travail. Journaliste-présentatrice, Léonore de Karadec a tout pour être heureuse et épanouie.

A quarante ans, elle peut se dire comblée avec un mari, deux enfants et une réussite professionnelle indéniable… sans oublier la reconnaissance du public et de ses employeurs. Les audiences de la matinale sont également excellentes. Bref, tout va bien ! Mais quelque chose cloche dans ce tableau idyllique. La crise de la quarantaine ? Une certaine lassitude de cette vie sans accroc ? Le besoin de séduire et d’être séduite ? Sur un coup de tête, elle décide de larguer les amarres de son couple pour vivre sa passion avec Alexis, le coprésentateur de l’émission. Plutôt du genre autocentré, le bel Alexis profite de  Léonore qui va de désillusion en désillusion.

Et comme un malheur n’arrive jamais seul, elle doit subir sa lente chute au sein de l’émission. Les premières remarques sur son teint, ses kilos en trop annoncent le début de la fin. Déjà atteinte par la limite d’âge, la présentatrice de La matinale tente malgré tout de se battre. Entre un couple détruit, un amant cynique et un patron plutôt pragmatique, la malheureuse Léonore perd tous ses repères et tombe en disgrâce. Sa remplaçante plus jeune et sans doute plus télégénique ne tarde pas à montrer le bout de son museau et de son décolleté.

Fuyant sur l’île de Sein dans une maison familiale, Léonore essaie de se reconstruire  en retrouvant les objets de son enfance et en s’appuyant sur certains rituels. La venue d’Alexis vient troubler sa quiétude et son sens du discernement jusqu’au geste fatal.

Dans ce roman, Nolwenn Le Blevennec porte également un regard sans concession sur le métier de journaliste au vingt-et-unième siècle. Une profession qui se met en quelque sorte au goût du jour du politiquement correct. Son analyse sur le comportement de la presse avec les représentants du Rassemblement national est parfaitement juste surtout lorsqu’elle annonce : « En y repensant, Sacha avait raison d’être en colère. Sur le RN, Alexis et moi avions baissé les bras. Nous ne savions plus par quel bout le prendre, nous étions empêtrés dans des injonctions paradoxales. » Avant d’ajouter : « On a beau dire, il est impossible d’interroger le RN ‘‘comme les autres partis’’ puisqu’il ne l’est pas. » Et pour cause : « Sur le terrain technique, on le sait, le RN s’effondre. Mais l’y amener, le sortir de ses éléments de langage, est devenu un tour de force. » Tellement vrai !

Pascal Hébert

La matinale, de Nolwenn Le Blevennec, éditions Gallimard, 228 pages, 20 euros.

Photo Francesca Mantovani