À l’angle des avenue Sablons et Pichard, dans le quartier de la Madeleine à Chartres : un parc de près de deux hectares de forêt et de prairie. Le plus grand espace de nature de ce quartier. Appelons-le « Grand Parc de Nature » de la Madeleine. À titre de comparaison, le Grand Parc de la Madeleine (2,4 hectares d’un seul tenant, au total) est bien plus vaste que le parc des bords de l’Eure (Petite Venise : 1,7 hectare) et comparable avec la superficie du parc André-Gagnon, ancien Clos-Pichot (2,8 hecatres). Composé d’alignements d’arbres, d’une butte forestière planté (arbres d’un demi-siècle ayant donné leur ombre à plusieurs générations) et d’une prairie, il est un espace verdoyant de pleine terre paysagère qui aurait un potentiel magnifique s’il était qualifié.

Ce Grand Parc de Nature est à l’articulation entre le quartier de La Madeleine, érigé au début des années 1970, le quartier de Saint-Chéron, et le centre commercial Carrefour qui date de 1967. Le quartier de la Madeleine présente une forte densité urbaine : environ 1 850 logements collectifs sur 17 hectares. Un quartier où les espaces verts arborés publics d’un seul tenant sont rares, donc chers aux habitants ! Les Chartrains aiment ce site et se le sont largement approprié : pétanque entre les arbres, foot pour les plus jeunes, basket pour les ados, balades en famille entre les arbres, pique-nique dans cet espace de fraîcheur lorsque le temps se réchauffe. Un vrai jardin d’Eden où l’on se ressource à l’abri de la densité minérale des bâtiments des années 1970.

Pourtant, la municipalité de Monsieur Gorges en a décidé autrement. Depuis quelques années, le Grand Parc de Nature manque d’entretien. C’est flagrant. Le but étant d’éloigner petit à petit les habitants de cet espace vert, en valorisant, à quelques centaines de mètres de là, le mail Jean-de-Dunois, six fois plus petit, rebaptisé « parc Jacques-Grand » en 2020. Le 8 septembre 2023, derrière l’inauguration en armes du city-stade de la Madeleine, les fermetures du terrain de foot et du terrain de basket du Grand Parc de Nature sont entérinées.

(Photos Olivier Maupu)

Un projet d’urbanisation de 175 logements collectifs

Cela peut paraitre surréaliste, et pourtant, le permis de construire a été accordé. La Ville a vendu une grande partie du Grand Parc de Nature de la Madeleine, sur un hectare pour la réalisation d’un programme immobilier… Terrain municipal vendu au prix fort de trois millions d’euros. Preuve qu’un parc n’a aucune autre valeur que monétaire, selon le Maire qui a évoqué être « assis sur un tas d’or ». La Ville va jusqu’à se vanter de cette bonne opération sur des vidéos promotionnelles sur grand écran dans l’Hôtel de ville. Le discours officiel prône la dé-densification de la Madeleine. Dans la réalité, ce premier projet prévoit 175 logements/hectare, soit près du double de la densité moyenne du quartier.

(écran de propagande dans l’Hôtel de Ville : ce grand parc va être bétonné)

Imaginez-vous vendre le parc des bords de l’Eure ? Le parc André-Gagnon ? pour une opération immobilière… Aucune ville ne fait ça. On ne vend pas le patrimoine naturel ! C’est non seulement injuste et cruel pour les habitants de la Madeleine, mais aussi impensable en matière de préservation de la nature en ville. C’est tout simplement scandaleux.
Pourquoi un tel acharnement dans la bétonisation ? Les intérêts de la Ville et de ses filiales.

Vous pensiez que cette opération immobilière ne servait que l’intérêt d’un promoteur immobilier ? Vous n’y êtes pas du tout ! La société d’économie mixte (SEM) Chartres Développements Immobiliers, présidée par Madame Fromont (première adjointe au Maire de la Ville de Chartres) a pris part à cette opération dénommée « Madeleine Pichard » à hauteur de 20%. L’opération prévoit un chiffre d’affaires de quinze millions d’euros et une marge de 5%, soit un chiffre d’affaires pour la SEM de trois millions d’euros et des honoraires de 4%. Bref, la société présidée par Madame Fromont prévoit de gagner de l’argent sur cette opération. Madame Fromont est rémunérée en tant que présidente.

Et ce n’est pas fini…

Pourquoi le Ville a-t-elle tant intérêt à se débarrasser du centre commercial Carrefour et le faire migrer de l’autre côté de la RN10 sur le site du projet « Plateau Nord-est » ? Derrière la communication officielle de mettre en œuvre la « renaissance » de la Madeleine et d’y « planter des arbres fruitiers pour les écureuils », l’argument est avant tout financier !

Soyons clairs, il est vrai que le centre commercial Carrefour, avec son énorme parking minéral et ses constructions de la fin des années 1960 n’est pas riant. Néanmoins, pourquoi le déménager, alors qu’il y aurait une occasion unique de mettre en œuvre un vrai projet de rénovation thermique et esthétique, déminéralisation, végétalisation sur place ? Le centre commercial actuel est fonctionnel, facile d’accès tant pour les extérieurs que pour les habitants du quartier qui s’y rendent à pied. Il joue un vrai rôle de centralité de quartier où les habitants se retrouvent. Comment cela se passera-t-il pour de nombreux habitants du quartier, rarement véhiculés, si jamais le centre commercial déménageait de l’autre côté ? N’y a-t-il pas mieux à faire sur place : relocaliser ici la cour matériaux de Leroy Merlin et l’enseigne Décathlon qui souhaiteraient venir sur le site sur l’actuel parking, en remplaçant les places de parking supprimés par des places de parking souterrain, par exemple ? Pourquoi vouloir toujours tout métamorphoser avec des coûts carbone explosifs alors que des solutions existent ? Le fait du prince…

La société publique locale (SPL) d’aménagement Chartres Aménagement, dont le PDG est Monsieur Masselus, deuxième adjoint au Maire de la Ville de Chartres, « pilote » la vaste opération « Plateau Nord-est », une concession d’aménagement notifiée en 2010 pour un budget prévisionnel de 280 millions d’euros. Le déplacement du centre commercial est l’une des composantes centrales de ce projet qui génère de l’activité pour la SPL, dont les prêts sont garantis par la ville à hauteur de 80 %. Pas de risque pour la SPL. Monsieur Masselus est rémunéré en tant que présidente directeur général. L’affaire est bonne !

(source : site Internet de la ville de Chartres)

Pas facile de mener une politique des années 1960 en 2023 !

Reste que pour séduire Carrefour et Leroy Merlin, ce n’est a priori pas gagné. En tout cas, la société Altarea Cogedim, retenue initialement pour réaliser le futur pôle commercial a jeté l’éponge en 2019, suite au retoquage de son projet par la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) en mai 2016. Après bientôt dix ans de discussion et de belles images de projets, rien n’a bougé ! Le modèle de grand centre commercial est notamment étouffé par la concurrence du commerce en ligne. Carrefour n’est pas prêt à mettre la main à la poche, d’autant que son site actuel est largement rentabilisé, qu’un déménagement risquerait de faire perdre une bonne partie de la clientèle du quartier, le centre commercial jouant un rôle de commerce de proximité pour ses habitants « clients captifs ». Quant à Leroy Merlin, l’enseigne doit encore s’interroger...

Et si, au lieu d’un projet de bétonisation de parcs publics, de destruction d’immeubles, et de suppression d’un centre commercial, on pensait les choses différemment ? Ainsi :

  • Préserver les parcs et améliorer les espaces verts du quartier,
  • Rénover les immeubles, avec les habitants : gains énergétiques, isolation acoustique, travail esthétique des façades (création de balcons…),
  • Ouvrir davantage le centre commercial sur son quartier, faciliter sa rénovation et son verdissement sur place,
  • Repenser et développer les mobilités actives : abris vélo sécurisés, pistes cyclables,
  • Retravailler les équipements publics du quartier : forum, bibliothèque,
  • Créer un véritable parvis devant la salle Doussineau pour ouvrir davantage le quartier au reste de la ville,
  • Améliorer l’accès aux équipements sportifs du quartier,
  • Renouer avec la sécurité et le respect par des agents de tranquillité de la ville, parce que l’humain est indispensable au plus près des habitants,
  • Et bien plus encore...

Il y a tant à faire, avec vous, pour réinventer la Madeleine.

Olivier Maupu, urbaniste, conseiller municipal Chartres ֤Écologie.