L’ordonnance de référé prise le 8 juin 2020 par le Conseil d’État est un énorme camouflet pour la ministre de la Justice. Elle fait honneur aux principes fondamentaux de notre République. Ladite ordonnance, dont le texte intégral est reproduit ci-dessous, suspend la décision gouvernementale du 13 mai dernier visant à imposer un juge unique sur l’ensemble des affaires traitées par la Cour nationale du droit d’asile (qui intervient en appel des décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA -), à la place des formations collégiales de jugement. Au bénéfice des requérants.

En vertu de l’ordonnance du 25 mars 2020

Le CONSEIL D’ETAT statuant au contentieux
ASSOCIATION ELENA FRANCE et autres
GISTI et autre
CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX
Ordonnance du 8 juin 2020
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE JUGE DES RÉFÉRÉS

Vu les procédures suivantes :

Sous le n° 440717, par une requête, deux mémoires, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 19, 25 et 29 mai et les 3 et 4 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association ELENA France, l’association La Cimade, l’association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour (l’Ardhis), l’association Avocats pour la Défense des Droits des Etrangers (ADDE), l’association Dom’Asile, la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat des avocats de France, l’association des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), l’association Planètes Réfugiés et l’association JRS France – Service jésuite des réfugiés demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, de suspendre l’exécution des 2° et 3° de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;

2°) à titre subsidiaire, d’enjoindre au Premier ministre, dans un délai de 8 jours, de modifier l’article 4-1 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 tel qu’issu de l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020, pour prévoir que le juge unique qui serait appelé à statuer en application de ces dispositions sur des recours relevant normalement de la formation de jugement collégiale de la Cour nationale du droit d’asile, statue dans un délai de cinq mois, et non de cinq semaines, à compter de sa saisine ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

– ils justifient d’un intérêt à agir ;

– la condition d’urgence est remplie, d’une part, eu égard aux effets graves et immédiats de l’ordonnance attaquée sur les intérêts qu’ils défendent et, en particulier, sur la possibilité de bénéficier d’une décision de justice rendue par une formation collégiale dans des conditions garantissant l’égalité des citoyens devant la loi et le respect des droits de la défense et, d’autre part, compte tenu de la non-conformité de cette ordonnance au droit de l’Union européenne et, en particulier, à la directive n° 2013/32/UE du 26 juin 2013 qui garantit que les demandeurs d’asile disposent d’un droit à un recours effectif contre les décisions refusant de faire droit à une demande de protection internationale ;

– il existe un doute sérieux quant à la légalité de l’article 1er de l’ordonnance attaquée ;

– il méconnaît la loi d’habilitation et porte une atteinte manifestement disproportionnée au principe de collégialité des audiences, au droit pour les justiciables de bénéficier d’un recours effectif et aux droits de la défense en ce qu’il généralise la possibilité du recours au juge unique pour l’ensemble des recours portés devant la Cour nationale du droit d’asile et permet cumulativement à ce dernier de statuer par un moyen de télécommunication audiovisuelle ;

– il méconnaît le principe constitutionnel d’égalité devant la justice en ce qu’il permet au président de la Cour nationale du droit d’asile ou au président qu’il désigne de statuer seul sur tout recours de façon discrétionnaire, sans s’appuyer sur aucun critère objectif ;

– il méconnaît l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 46 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 en ce qu’il ne prévoit pas de mécanisme de nature à s’assurer que le demandeur pourra bénéficier d’un examen complet de sa situation dans le délai d’instance de cinq semaines ni de garanties procédurales suffisantes en cas de recours à un moyen de comparution audiovisuelle ou téléphonique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie et qu’aucun des moyens invoqués n’est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’ordonnance attaquée.

Sous le n° 440812, par une requête, enregistrée le 25 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) et la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immgré-e-s demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, de suspendre l’exécution des 2° et 3° de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;

2°) à titre subsidiaire, d’enjoindre au Premier ministre, dans un délai de 8 jours, de modifier l’article 4-1 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 tel qu’issu de l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020, pour prévoir que le juge unique qui serait appelé à statuer en application de ces dispositions sur des recours relevant normalement de la formation de jugement collégiale de la Cour nationale du droit d’asile, statue dans un délai de cinq mois, et non de cinq semaines, à compter de sa saisine ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que :

– ils justifient d’un intérêt à agir ;

– la condition d’urgence est remplie, d’une part, eu égard aux effets graves et immédiats de l’ordonnance attaquée sur les intérêts qu’ils défendent et, en particulier, sur la possibilité de bénéficier d’une décision de justice rendue par une formation collégiale dans des conditions garantissant l’égalité des citoyens devant la loi et le respect des droits de la défense et, d’autre part, compte tenu de la non-conformité de cette ordonnance au droit de l’Union européenne et, en particulier, à la directive n° 2013/32/UE du 26 juin 2013 qui garantit que les demandeurs d’asile disposent d’un droit à un recours effectif contre les décisions refusant de faire droit à une demande de protection internationale ;

– il existe un doute sérieux quant à la légalité de l’article 1er de l’ordonnance attaquée ; – il méconnaît la loi d’habilitation et porte une atteinte manifestement disproportionnée au principe de collégialité des audiences, au droit pour les justiciables de bénéficier d’un recours effectif et aux droits de la défense en ce qu’il généralise la possibilité du recours au juge unique pour l’ensemble des recours portés devant la Cour nationale du droit d’asile et permet cumulativement à ce dernier de statuer par un moyen de télécommunication audiovisuelle ;

– il méconnaît le principe constitutionnel d’égalité devant la justice en ce qu’il permet au président de la Cour nationale du droit d’asile ou au président qu’il désigne de statuer seul sur tout recours de façon discrétionnaire, sans s’appuyer sur aucun critère objectif ;

– il méconnaît l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 46 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 en ce qu’il ne prévoit pas de mécanisme de nature à s’assurer que le demandeur pourra bénéficier d’un examen complet de sa situation dans le délai d’instance de cinq semaines ni de garanties procédurales suffisantes en cas de recours à un moyen de comparution audiovisuelle ou téléphonique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie et qu’aucun des moyens invoqués n’est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’ordonnance attaquée.

Sous le n° 440867, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 mai et 4 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Conseil national des barreaux demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution du 2° de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;

2°) subsidiairement, de suspendre l’exécution du 5° de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 en ce qu’il prévoit que les délais de saisine de la Cour nationale du droit d’asile recommencent à courir le 24 mai 2020 et non à la fin de l’état d’urgence sanitaire ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– son recours est recevable, dès lors que l’ordonnance contestée n’a fait l’objet d’aucune ratification explicite et qu’il justifie d’un intérêt à agir ;

– la condition d’urgence est remplie, dès lors que l’ordonnance porte une atteinte grave tant aux intérêts publics qu’il défend qu’à la situation des demandeurs d’asile ;

– il existe un doute sérieux quant à la légalité de l’ordonnance contestée ;

– elle est entachée d’incompétence et d’un vice de procédure dès lors que le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur le texte tel qu’il a été finalement publié ;

– elle méconnaît l’étendue de l’habilitation donnée au Gouvernement par le I de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 en ce qu’elle fait du juge unique la formation de droit commun de l’ensemble du contentieux de l’asile, alors que l’habilitation permet uniquement au Gouvernement de prendre les mesures adaptant la procédure devant la Cour nationale du droit d’asile aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 ;

– elle méconnaît le droit au recours effectif, conventionnellement garanti aux demandeurs d’asile, en ce qu’elle confie l’ensemble du contentieux de l’asile à un juge unique, tenu de statuer dans des délais restreints, alors qu’il n’existe aucun obstacle dirimant au maintien de la procédure collégiale et que le Gouvernement n’a pas demandé à bénéficier de l’article 15 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– elle est entachée d’une erreur d’appréciation ou, à tout le moins, d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle fait de la formation à juge unique la formation de droit commun de la Cour nationale du droit d’asile, en lieu et place de la formation collégiale, alors qu’une telle mesure n’est pas nécessaire à la lutte contre la propagation de l’épidémie ;

– elle porte atteinte au principe d’égalité devant la justice, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dès lors que le recours au juge unique devant la Cour nationale du droit d’asile, généralisé à l’ensemble du contentieux de l’asile, ne repose sur aucun critère objectif ;

– subsidiairement, s’il devait être considéré que le recours au juge unique comme formation de jugement de droit commun du contentieux de l’asile est justifié, elle méconnaît le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense, le droit d’accès au juge, l’égalité des armes et les articles 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et 16 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 en ce qu’elle prévoit, outre la restriction du délai d’instance à cinq semaines, liée au recours au juge unique, que les délais de saisine de la Cour nationale du droit d’asile recommencent à courir le 24 mai 2020, et non plus à la fin de l’état d’urgence sanitaire soit, pour l’heure, le 10 juillet 2020.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie et qu’aucun des moyens invoqués n’est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’ordonnance attaquée.

Les requêtes ont été communiquées au Premier ministre qui n’a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la Constitution ;

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

– la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 ;

– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– le code de la santé publique ;

– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

– la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;

– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, l’association ELENA France et autres, le GISTI et autre et le Conseil national des barreaux et, d’autre part, le Premier ministre et la garde des sceaux, ministre de la justice ; Ont été entendus lors de l’audience publique du 5 juin 2020, à 10 heures 30 :

– Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’association ELENA France et autres et du GISTI et autre ;

– Me Boré, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil national des barreaux ;

– la représentante de l’association ELENA France ;

– la représentante du Syndicat des avocats de France ;

– la représentante du Conseil national des barreaux ;

– les représentants de la garde des sceaux, ministre de la justice ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de l’association ELENA France et autres, du GISTI et autre et du Conseil national des barreaux demandent la suspension de l’exécution de dispositions de la même ordonnance du 13 mai 2020. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

2. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

3. En raison de l’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et de sa propagation sur le territoire français, après de premières mesures arrêtées par le ministre des solidarités et de la santé et par le Premier ministre, en particulier l’interdiction, décidée par le décret du 16 mars 2020, de déplacement de toute personne, en principe, hors de son domicile, la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. L’article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020 inclus. L’interdiction de déplacement hors du domicile, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, s’est appliquée entre le 17 mars et le 11 mai 2020, avant que ne soient prescrites, par décret du 11 mai 2020, de nouvelles mesures générales, moins contraignantes que celles applicables dans la période antérieure mais continuant d’imposer de strictes sujétions afin de faire face à l’épidémie de covid-19 puis, par décret du 31 mai 2020, des mesures moins contraignantes encore, compte tenu de l’évolution de l’épidémie et de la situation sanitaire.

4. Dans ces circonstances, l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19, notamment en matière juridictionnelle. Le Gouvernement a ainsi été autorisé, en vertu du 2° du I de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020, « afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation » à prendre toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi « c) Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions ».

5. Sur le fondement de cette habilitation, l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif a temporairement adapté certaines règles de procédure applicables devant les juridictions administratives. Ses dispositions ont été modifiées ou complétées par l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020. En particulier, le 2° de l’article 1er de cette ordonnance du 13 mai 2020 a ajouté à l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 un article 4-1 prévoyant que « la procédure prévue au deuxième alinéa de l’article L. 731-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, par laquelle le président de la Cour nationale du droit d’asile ou le président de formation de jugement qu’il désigne à cette fin statue seul, est applicable à l’ensemble des recours mentionnés au premier alinéa du même article ».

6. Les organisations requérantes demandent principalement au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de ces dispositions de l’article 4-1 de l’ordonnance du 25 mars 2020 résultant de l’ordonnance du 13 mai 2020.

Sur les dispositions applicables à la Cour nationale du droit d’asile :

7. En vertu de l’article L. 732-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la Cour nationale du droit d’asile comporte des formations de jugement comprenant un président, nommé parmi les membres ou anciens membres du Conseil d’Etat, des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, de la Cour des comptes, des chambres régionales des comptes ou les magistrats de l’ordre judiciaire, et deux personnalités qualifiées, nommées en raison de leurs compétences dans les domaines juridique ou géopolitique, respectivement, par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés sur avis conforme du vice-président du Conseil d’Etat et par le vice-président du Conseil d’Etat.

8. Aux termes de l’article L. 731-2 du même code : « La Cour nationale du droit d’asile statue sur les recours formés contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides prises en application des articles L. 711-1 à L. 711-4, L. 711-6, L. 712-1 à L. 712-3, L. 713-1 à L. 713-4, L. 723-1 à L. 723-8, L. 723-11, L. 723-15 et L. 723-16. (…) / La Cour nationale du droit d’asile statue en formation collégiale, dans un délai de cinq mois à compter de sa saisine. Toutefois, sans préjudice de l’application de l’article L. 733-2, lorsque la décision de l’office a été prise en application des articles L. 723-2 ou L. 723-11, le président de la Cour nationale du droit d’asile ou le président de formation de jugement qu’il désigne à cette fin statue dans un délai de cinq semaines à compter de sa saisine. Il en est de même lorsque l’office prend une décision mettant fin au statut de réfugié en application de l’article L. 711-6 ou au bénéfice de la protection subsidiaire en application des 1° ou 3° de l’article L. 712-3 pour le motif prévu au d de l’article L. 712-2. De sa propre initiative ou à la demande du requérant, le président de la cour ou le président de formation de jugement désigné à cette fin peut, à tout moment de la procédure, renvoyer à la formation collégiale la demande s’il estime que celle-ci ne relève pas de l’un des cas prévus aux articles L. 723-2 et L. 723-11 ou qu’elle soulève une difficulté sérieuse. La cour statue alors dans les conditions prévues à la première phrase du présent alinéa ».

9. Selon l’article L. 733-2 du même code : « Le président et les présidents de section, de chambre ou de formation de jugement peuvent, par ordonnance, régler les affaires dont la nature ne justifie pas l’intervention de l’une des formations prévues à l’article L. 731-2 (…) ». En vertu de l’article R. 733-4 du même code : « Le président de la cour et les présidents qu’il désigne à cet effet peuvent, par ordonnance motivée : /1° Donner acte des désistements ; / 2° Rejeter les recours ne relevant pas de la compétence de la cour ; / 3° Constater qu’il n’y a pas lieu de statuer sur un recours ; / 4° Rejeter les recours entachés d’une irrecevabilité manifeste non susceptible d’être couverte en cours d’instance ou qui n’ont pas été régularisés à l’expiration du délai imparti par une demande adressée en ce sens en application de l’article R. 733-9 ; / 5° Rejeter les recours qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides ; dans ce cas, l’ordonnance ne peut être prise qu’après que le requérant a été mis en mesure de prendre connaissance des pièces du dossier et après examen de l’affaire par un rapporteur. / 6° Statuer sur les recours qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue aux articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 (…) ».

10. Le 2° de l’article 1er de l’ordonnance contestée du 13 mai 2020 rend applicable à l’ensemble des recours portés devant la Cour nationale du droit d’asile la procédure prévue au deuxième alinéa de l’article L. 731-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en vertu de laquelle le président de la cour ou le président de formation de jugement qu’il désigne statue seul, en principe dans un délai de cinq semaines. Ces dispositions dérogatoires sont temporairement applicables, en vertu de l’article 2 de l’ordonnance du 23 mars 2020 modifiée, jusqu’à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 puis prorogé par la loi du 11 mai 2020, soit en l’état jusqu’au 10 juillet 2020 inclus, pour toutes les affaires qui n’ont pas fait l’objet d’une audience au 15 mai 2020, ainsi que le prévoit l’article 2 de l’ordonnance du 13 mai 2020.

Sur les conclusions à fin de suspension :

11. Il ressort des pièces versées au dossier et des éléments indiqués lors de l’audience de référé que la Cour nationale du droit d’asile n’a pas rendu de décisions pendant deux mois, entre la mi-mars et la mi-mai 2020, période au cours de laquelle le Premier ministre avait interdit, de façon générale et pour l’ensemble du territoire national, le déplacement de toute personne hors de son domicile sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées. A l’approche du 11 mai 2020, date à compter de laquelle sont entrées en vigueur des mesures moins contraignantes, les modalités envisagées pour une reprise d’activité de la Cour nationale du droit d’asile ont été annoncées, prévoyant notamment une reprise des audiences, limitées dans un premier temps, pour le mois de mai et jusqu’au 12 juin, aux seules affaires susceptibles, en raison de leur nature, d’être jugées par un juge unique en vertu du second alinéa de l’article L. 731-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, mais devant être ensuite étendues, à compter du 15 juin 2020, à des formations collégiales. De premières convocations pour ces différentes audiences, de juge unique et de formation collégiale, ont été adressées aux demandeurs d’asile pour certaines affaires. Mais l’intervention de l’ordonnance contestée du 13 mai 2020 a conduit à modifier la programmation des audiences envisagées pour ne plus convoquer les demandeurs d’asile, à partir du 15 juin 2020, qu’à des audiences tenues par des juges uniques.

12. En premier lieu, si l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 a temporairement habilité le Gouvernement, « aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances », à adapter certaines règles de procédure, relevant du domaine de la loi, applicables devant les juridictions, en particulier celles relatives aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif, les dérogations aux règles législatives normalement applicables, que cet article rend possibles, ne peuvent légalement intervenir que si, au regard de leur portée, elles apparaissent justifiées, à la date à laquelle elles sont prises, par les circonstances résultant de l’épidémie et des mesures prises pour lutter contre elle et par l’état de la situation sanitaire.

13. Les dispositions contestées, résultant du 2° de l’article 1er de l’ordonnance du 13 mai 2020 insérant un article 4-1 dans l’ordonnance du 25 mars 2020, ont, de façon générale et au-delà des cas prévus par la loi à raison de la nature des affaires, rendu de plein droit applicable à l’ensemble des recours portés devant la Cour nationale du droit d’asile la procédure prévue au second alinéa de l’article L. 731-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ayant ainsi pour effet de conduire à statuer par juge unique sur l’ensemble des affaires, en écartant l’intervention des formations collégiales instituées par la loi.

14. En dépit des difficultés particulières de fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile dans les circonstances causées par l’épidémie de covid-19, de la proportion des membres des formations collégiales de la Cour susceptibles d’être regardés comme des personnes particulièrement vulnérables à cette maladie et de la durée d’application limitée des dispositions contestées, qui n’est en l’état prévue que jusqu’au 10 juillet 2020, le moyen tiré de ce que ces dispositions ne seraient pas justifiées et proportionnées au regard de l’habilitation donnée par l’article 11 de la loi du 23 mars 2020, compte tenu de l’état de la situation sanitaire à la date à laquelle elles ont été adoptées, est, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des dispositions critiquées, eu égard au caractère général et systématique de la dérogation adoptée, qui n’est pas limitée à des hypothèses pouvant être justifiées par les caractéristiques des affaires, et à la particulière importance que revêt, pour les demandeurs d’asile, la garantie d’un examen de leur recours par une formation collégiale telle qu’instituée en principe par le législateur.

15. En second lieu, il ressort des éléments indiqués au juge des référés qu’il est prévu de tenir des audiences à la Cour nationale du droit d’asile sur le fondement des dispositions contestées à compter du 15 juin 2020. Compte tenu des effets de ces dispositions sur les conditions d’examen des recours portés devant la Cour et de l’importance de la garantie que présente, pour les demandeurs d’asile, la collégialité des formations de jugement en principe instituées par le législateur, la condition d’urgence requise par les dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie, sans que s’y oppose en l’espèce l’intérêt public qui peut s’attacher à la continuité du fonctionnement du service public de la justice.

16. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution des dispositions de l’article 4-1 de l’ordonnance du 25 mars 2020, issues du 2° de l’article 1er de l’ordonnance du 13 mai 2020.

17. En revanche, les moyens soulevés ne paraissent pas de nature, en l’état de l’instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des dispositions modifiant l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020, résultant du 3° de l’article 1er de l’ordonnance du 13 mai 2020.

18. Dès lors qu’il est fait droit, ainsi qu’il a été dit au point 16, aux conclusions des requêtes tendant à la suspension de l’exécution du 2° de l’article 1er de l’ordonnance du 13 mai 2020, il n’y a pas lieu de se prononcer sur les conclusions, présentées à titre subsidiaire, tendant à la suspension de l’exécution du 5° de l’article 1er de la même ordonnance et tendant à ce qu’il soit enjoint de modifier l’article 4-1 de l’ordonnance du 25 mars 2020.

19. Enfin, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : L’exécution des dispositions du 2° de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 est suspendue.

Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association ELENA France, premier requérant dénommé, au GISTI, premier requérant dénommé, au Conseil national des barreaux et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Fait à Paris, le 8 juin 2020.