On connait François Ruffin comme fondateur de Fakir, il y a 23 ans. Il est aussi l'auteur d'une quinzaine d'essais dont Il est où le bonheur ? et de plusieurs films coups de poings comme Merci patron et Debout les femmes. Il est aussi présent dans les médias par ses interventions à l'Assemblée nationale comme député LFI de la Somme.

Dans son dernier essai, François Ruffin nous aide à comprendre les raisons du vote RN chez les ouvriers. Pourquoi une large partie du peuple de gauche s'est aujourd'hui tourné vers l'extrême droite ? Sa proximité avec ses électeurs lui permet de discerner un aspect prépondérant à ce tournant : les propriétés des riches sont très éloignées des banlieues et villages où vivent les gens modestes, ils ne les voient pas. En revanche, ils supportent mal de voir des chômeurs, leurs voisins, se lever tard, ne rien faire de la journée et toucher des indemnités. Ces assistés se la couleraient douce pendant qu'eux sont soumis à des horaires et des cadences de plus en plus dures, pour des salaires de misère. L'auteur rappelle que la gauche au pouvoir n'a rien fait contre les délocalisations et la montée du chômage qui en résulte. L'autre gauche, « altermondialiste » peu sensible à ce démantèlement du tissu industriel, manifestait  pour : « un autre monde possible ».

Plus subtil, François Ruffin constate que « les ouvriers-employés se sentent marginalisés, ostracisés dans l'espace social, se reconnaissant dans une Marine Le Pen marginalisée, ostracisée dans l'espace politique (…), le mépris qu'elle subit, c'est le leur. » Une enquête statistique révèle que 71% des Français considèrent comme une priorité de lutter contre l'assistanat. Notre député-reporter appelle à détourner cette attention pour les « assistés » vers les vrais profiteurs du système, ceux dont la fortune a triplé sous le mandat Macron.

Le malaise des Français s'explique aussi par cette contradiction : pour l'estime de soi et dans le regard des autres, c'est le travail qui revêt le plus d'importance. Pourtant, dans notre société, ce sont les emplois les plus utiles qui sont les plus maltraités, les plus mal payés et soumis aux pires conditions de travail. Par ailleurs, les inégalités se sont creusées de façon indécente : il y a 50 ans, un  grand patron gagnait 12 fois le Smic, c'est aujourd'hui 240 fois. Ce mouvement risque encore de s'aggraver car, si dans les années 80 les impôts sur les bénéfices étaient de 50%, ils sont aujourd'hui réduits à 25%. Pire encore, les multinationales du CAC 40 s'acquittent de seulement 4% !

François Ruffin observe que les travailleurs sont mis en concurrence, que les rythmes imposés au travail provoquent de plus en plus de « burn-out », et que l'on constate « un essor spectaculaire des pathologies mentales liées au travail. » Notre député-sociologue remarque au cours de ses rencontres un signe de déclassement social : la réduction ou la privation des vacances.

François Ruffin termine ce court essai en donnant quelques pistes d'action pour la gauche : « défendre le travail, la justice au travail et lui donner un sens », et, pourquoi pas  « canaliser toutes les énergies vers un but : développer une économie de guerre contre les dérèglements climatique. »

EC-DC

François Ruffin, Je vous écris du front de la Somme, éditions Les liens qui libèrent, septembre 2022, 129 pages, 10 euros.