La municipalité chartraine a récemment décidé d’honorer feu Jacques Grand en donnant son nom à un square situé dans le quartier de La Madeleine. L’occasion pour Cactus de retracer la vie de ce précurseur du commerce de masse, inconnu du commun des Chartrains.

La famille Grand est originaire de Champagne. Son installation en Beauce se produit dans l’entre-deux-guerres quand François Grand, le patriarche, rachète et relance La Maison verte, enseigne renommée en produits textiles du centre-ville de Chartres depuis le XIXème siècle et déclinaison locale des grands magasins parisiens.

À la fin des années 1930, François Grand, père de sept enfants, prépare son fils aîné, Jean, à sa succession. Mais ce dernier est tué en Belgique au printemps 1940 dans les combats qui précèdent l’invasion de la France par l’armée allemande. Jacques, son cadet né en 1927, hérite de la charge, et pendant plus de quarante ans, dirige le magasin qui comptera à son épogée quelque 150 salariés.

Cependant, l’homme est visionnaire. Il pressent que l’âge d’or des grands magasins de centre-ville est révolu. La période des Trente Glorieuses consacre la société de consommation sur le modèle étasunien. Les villes s’agrandissent sur leurs franges : cités HLM, zones pavillonnaires, usines. L’automobile se démocratise, perçue comme un moyen (de déplacement) et une fin (l’expression de la liberté économique). Jacques Grand fait la connaissance de Marcel Fournier, créateur en 1963 du premier hypermarché Carrefour à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). Les deux chefs d’entreprise qui fréquentent la même centrale d’achats font affaire. Jacques Grand achète des terres agricoles situées à l’Est de Chartres, fait construire un immense bâtiment et bitumise un parking dédié à la clientèle. En 1967, l’hyper Carrefour ouvre ses portes au milieu des champs. Deux ans plus tard, naît le quartier de La Madeleine. Jacques Grand tient sa fortune, qu’il accroît encore avec l’installation du magasin But. Pour autant, l’argent n’est pas son nirvana, et il le distribue allègrement autour de lui.

« Mon père était un sacré personnage, à la fois sympathique et autoritaire, il était à l’écoute des gens », me confie l’un de ses deux fils, Michel. « Dans sa jeunesse, il était très sportif. Il fut parachutiste pendant son service militaire, et était passionné par les bateaux à moteur. Dans les années soixante, Il a été champion du monde de vitesse sur la Seine, et a participé à plusieurs reprises à la course Lyon-Méditerranée sur le Rhône ».

Jacques Grand adore également les grands voyages, notamment le désert du Sahara. « Il l’a traversé au moins à dix reprises, en 4X4, en autonomie complète, à la boussole, pendant cinq semaines, avec des amis. Moi, je l’ai accompagné une fois en 1977. Il empruntait la route transsaharienne qui passait par Tamanrasset, le Niger, le Mali, puis retour ».

Dernier trait marquant : Jacques Grand n’aime pas se mettre en scène, apparaître sous les feux de la rampe. Il préfère l’ombre, la discrétion, et travaille avec tous les acteurs politiques sans faire de politique, sauf une fois, en 2001, deux ans avant sa disparition, en dernière position sur une liste municipale. En somme, sa Légion d’honneur, celle qu’il n’a jamais reçue.

Gérard Leray