Jacques Gaillot est mort. Jacques Gaillot, c'est Monseigneur Gaillot qui, le 13 janvier 1995, avait été relevé de sa charge d'évêque d'Evreux, et qui avait été nommé par la suite, évêque de Partenia "diocèse immatériel" (localité sur les hauts plateaux de Sétif, en Algérie). Il avait par ses actions bousculé sa hiérarchie : soutien à des objecteurs de conscience, hostilité à la dissuasion nucléaire, prise de position pour le désarmement, pour l'arrêt des essais nucléaires français dans le Pacifique, contre l'apartheid en Afrique du Sud, rencontre avec le chef palestinien Yasser Arafat, proposition de l'ordination des hommes mariés, opposition à la guerre du Golfe, militance contre l'exclusion.
Jusqu'à la fin de sa vie, Jacques Gaillot a poursuivi ses combats, passionné par toute l'actualité du monde. Prises de position, interventions, soutiens. "Un évêque dans la cité" qui a toujours parlé, réfugiés, sans-papiers, prisons, Moyen-Orient, Palestine, Islam, place de la femme dans l'Église, prêtres mariés, pédophilie, laïcité. Intéressé au plus haut point par "les libérations des peuples".
Il disait : "Une société se juge à la manière dont elle traite les plus fragiles, les malades, les prisonniers, les migrants, les gens de la rue... Ils ont autant besoin de respect que de secours".
Je l'ai rencontré à diverses reprises pour des entretiens informels, pour échanger sur ses combats présents, ses combats humains, jusqu'au bout. Notre dernière conversation téléphonique : "Hospitalisé, je vis mon ultime étape de vie. Tu peux prier pour moi...".
Nous avions des divergences, j'avais mes interrogations, il avait les siennes. Mais respect et dialogue comme avec tous ses interlocuteurs.
Il me donnait régulièrement des textes de ses réflexions. Les trois derniers : "Le fardeau de l'espoir", "Une lumière dans la nuit", "La paix soit avec vous" :
- "Deux attentats ont été perpétrés, dont l'un a causé la mort de sept Israéliens dans la banlieue de Jérusalem, à proximité d'une synagogue. L'auteur est un Arabe israélien de 21 ans. L'émotion est grande, tous les médias en parlent. A Jérusalem, après l'attentat, on a crié : "Mort aux Arabes". Tandis qu'à Ramallah, à Bethléem et dans la bande de Gaza, on assistait à des scènes de liesse. Un mur de haine se construit entre deux peuples. La veille du premier attentat, neuf Palestiniens ont été tués à Djénine en Cisjordanie par l'armée israélienne. On parle du massacre de Djénine... Mieux que quiconque, Mahmoud Darwish, immense poète, a su trouver les mots écrits à Ramallah le 25 mars 2002 : "Nous souffrons d'un mal incurable qui s'appelle l'espoir... Espoir d'une vie normale où nous ne serons ni héros ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller à l'école sans danger. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant dans un hôpital et pas un enfant mort devant un poste de contrôle militaire..." Jacques Gaillot évêque de Partenia.
- "Les événements qui entourent la naissance de Jésus évoquent ce que beaucoup de familles vivent aujourd'hui : des gens obligés de prendre la route, une femme qui ne trouve pas de place pour mettre son enfant au monde, le refuge dans des pays voisins, des enfants victimes de la cruauté de la guerre... Sous le métro aérien, des migrants africains sont entassés. Ils se lèvent et s'approchent pour prendre la nourriture qui leur est distribuée. Un homme fort sert une louche de lentilles puis chacun prend une banane et un morceau de pain. Y aura-t-il assez de lentilles pour tout le monde ? Je m'approche de la grande bassine pour m'en assurer. Hélas ! elle sera bientôt vide. Je m'adresse à l'homme qui sert et que je ne connais pas : "Il faudrait un miracle". Surpris il me regarde : "Ce serait plutôt à vous de le faire". Il ajoute : "Quand il n'y en a plus, il n'y en a plus". Et prenant sa lourde bassine, il la charge dans sa camionnette et s'en va. Les Africains qui n'ont rien eu, ne protestent pas... Mais voici que le miracle se produit, dans la simplicité et la discrétion. Spontanément, ceux qui ont commencé à manger tendent leur assiette de lentilles ou une banane ou un morceau de pain à ceux qui n'ont rien reçu... Des pauvres ont aidé des pauvres. Une lumière a brillé dans la nuit." Jacques Gaillot évêque de Partenia.
- "...La paix est à la portée de tous : les enfants comme les personnes âgées sont appelés à devenir des artisans de la paix... Vivre en harmonie avec soi-même, en harmonie avec la nature, en harmonie avec les autres, n'est-ce pas un cadeau ?... Mais n'oublions jamais que c'est la justice qui crée la paix. Une injustice n'est jamais une condition de paix. Chaque fois qu'on laisse s'installer l'injustice, on prépare les révoltes et les conflits. La pendaison d'un Iranien de 23 ans, après un simulacre de procès, a suscité l'indignation des pays occidentaux. C'est un mépris de la justice et une régression de la paix. Le fossé d'inégalités qui se creuse au sein d'un peuple et entre les peuples, ne prépare en aucune manière les chemins de la paix. Les religions malgré leur passé de violence, ont vocation à faire la paix. Shalom, Salam, Paix sont des mots que juifs, musulmans ou chrétiens prononcent pour que la famille humaine vive ensemble, comme les enfants d'un même père. La Paix soit avec vous." Jacques Gaillot évêque de Partenia.
Alain Roumestan, publié en première main sur le site Agoravox le 13 avril 2023.