« Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaire ». Récit de l’audience dans l’affaire Guillemain/Gorges du 17 décembre 2020.
Ce jeudi 17 décembre, une audience avait lieu au tribunal de Chartres suite à la demande de Quentin Guillemain. Jean-Pierre Gorges y était cité à comparaître pour injures publiques. L’audience devait se tenir à 13h30 dans une petite salle annexe du TGI. Les juges ont préalablement dû examiner deux affaires complexes et terriblement violentes : un homme en comparution immédiate et un homme en détention, deux affaires mettant en avant des prévenus au casier judiciaire déjà bien rempli. Tous deux se voyaient condamnés à de lourdes peines.
Au même moment, Quentin Guillemain et son avocate découvraient l’ultime tentative de la défense pour se soustraire au jugement sur le fond : une demande de nullité pour des questions de forme de la citation directe. L’affaire Guillemain/Gorges a commencé à être examinée vers 16h30 dans ce climat lourd des affaires précédentes, et devant quelques personnes et avocats. Les juges ont noté l’absence de Jean-Pierre Gorges, représenté par son avocat, Maître Philippe Blanchetier. De son côté, Quentin Guillemain était, lui, physiquement présent, et représenté par son avocate Jade Dousselin.
La défense s’est d’abord appliquée à tenter de plaider la nullité liée à un prétendu problème d’exigence en matière de précision des faits reprochés à Jean-Pierre Gorges dans le cadre de la procédure en citation directe. Maitre Blanchetier arguant de la liberté d’expression et s’en référant à la Cour européenne des Droits de l’Homme pour démontrer que la citation ne permettait pas à monsieur Gorges de savoir sur quoi il devait se défendre.
L’avocat, pourtant plein d’assurance, a parfois hésité sur les références de jurisprudence et réglementaires sur lesquelles il comptait s’appuyer. Il demande alors aux juges de « constater la nullité de la citation et de débouter Quentin Guillemain de l’ensemble de ses demandes contre Jean-Pierre Gorges ». Il argumente en affirmant que le tribunal n’est pas « l’antichambre du Conseil municipal », et considère alors comme abusive la procédure à l’encontre de son client, estimant nécessaire la condamnation du conseiller municipal d’opposition à une amende de 3 500 €.
L’avocate de Quentin Guillemain intervient à son tour regrettant d’avoir reçu les conclusions juridiques de son confrère visant la nullité à 13h30, soit à l’heure où devait démarrer l’audience. Un choix déontologique assumé par la défense. Pas fair-play ! Elle affirme que le dossier est complet, les citations sont clairement exprimées, numérotées et renvoient aux pièces du dossier soigneusement présentées. Il ne fait donc aucun doute que la défense puisse connaître les motifs des propos injurieux.
Comme souvent dans ce type d’affaire, le procureur ne prend pas part au débat et en réfère à la sagesse des juges.
Alors que la séance est suspendue pour le délibéré des juges sur la nullité demandée par la défense, il est étonnant de constater le côté particulièrement volubile de Maître Blanchetier qui n’hésite pas à plaisanter avec les autres avocats présents dans la salle, ainsi qu’avec le ministère public.
Le Tribunal a délibéré et a conclu au rejet total de la nullité et à la validité de la citation directe présente par Monsieur Guillemain et son conseil. Les faits du Conseil municipal du 17 septembre 2020 sont alors immédiatement débattus sur le fond.
Maître Dousselin rappelle brièvement les nombreux éléments accablant son client, qui sont clairement à rapprocher de faits d’injures publiques, et notamment le terme « khmer vert », et fait alors entrer un témoin exerçant la profession de magistrat au Conseil d’Etat, qui explique rencontrer pour la première fois le plaignant et ne pas connaître l’accusé. Pendant sept ans conseiller international du Maire de Paris, et souvent dépêché au Cambodge, il témoigne de la barbarie du régime de Phnom Penh, où 2 des 6 millions d’habitants ont perdu la vie, épurés par un régime génocidaire. « Quand on traite quelqu’un de « Khmer », il faut savoir ce que cela signifie. Non seulement cela reflète l’état d’inconnaissance absolue de la personne qui insulte, mais c’est aussi une injure terrible et insurmontable, équivalant au terme de nazi ! ».
Maître Dousselin reprend ensuite la parole « Le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire ». « Il est important dans un débat politique qu’il y ait des limites » visant à définir ce qu’est une injure, et particulièrement une injure en politique. Elle égrène ensuite toutes les injures dont Quentin Guillemain a fait l’objet entre la séance du Conseil municipal, confirmées dans l’article de L’Echo Républicain le lendemain et à nouveau dans la tribune du magazine municipal Votre Ville quelques jours plus tard. Sur le physique, sa taille, sa laideur, facho, fasciste, fascisant, Khmer, diktats… « Peut-on considérer son adversaire comme un génocidaire ? Tout cela est extrêmement choquant. » Celui qui ne s’en sort pas grandi ce soir, c’est surtout Jean-Pierre Gorges, et la politique qu’il tient à Chartres, d’autant que cela a été réitéré à plusieurs reprises. »
« Evidemment, on va vous parler de liberté d’expression, de caricatures, mais le rôle du tribunal est de fixer la limite » L’avocate réclame alors pour son client une réparation pour le préjudice subi pour lui, sa famille, sa vie professionnelle et son engagement politique à 10 000 € de dommages et intérêts et 4 000 € complémentaires au titre des droits de justice.
Maître Blanchetier tente alors de convaincre les juges que son client est innocent. « Est-ce que le terme « Khmer » a été prononcé en conseil municipal ? Non ! Visionnez la vidéo ! Uniquement dans la tribune dans des termes détournés, en lien avec les nouveaux maires écologistes, ça ne concerne pas M. Guillemain ! » Il explique ensuite que le terme « Khmer vert » viendrait à l’origine des écologistes eux-mêmes, et a été repris par les grands journaux ainsi que par certaines grandes signatures citoyennes à l’image de Gabriel Cohn Bendit.
Par ailleurs, la citation d’André Laignel serait à rapprocher de cette affaire : « Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaire », ce serait la force du débat contradictoire en politique. De même, il tente d’expliquer que le terme « fasciste » ou « facho » n’est plus une insulte étant donné que les juges ont déjà démontré le contraire dans une affaire opposant Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, rappelant que l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme protège la liberté d’expression, composée entre autres de la liberté de la presse. La seule locution prononcée étant employée serait selon lui « méthodes fascisantes » adressée à l’encontre de M. Bridet et non de M. Guillemain, et dont visiblement M. Bridet ne se plaint pas, puisqu’il n’est pas présent sur le banc des victimes.
L’avocat expose alors un autre exemple opposant Xavier Bertrand à Mediapart et selon lequel « Tout homme politique a le droit à l’exagération ». « Le sens de l’adjectif fasciste ayant tendance à se banaliser et à désigner l’adversaire politique contradicteur, c’est clairement de l’extrapolation ». De même, aucune attaque contre son physique ne serait à déplorer, le terme de « Grand » a été utilisé avec une majuscule, pour évoquer M. Grand dont le parc public porte le nom. Il vante alors son plaidoyer, arguant que les soi-disant propos injurieux tenus relèvent de l’imagination du plaignant et s’effondrent les uns après les autres comme un château de cartes. De même, la tribune n’est pas signée par Jean-Pierre Gorges, mais par la majorité municipale, le Maire n’en est donc pas responsable et ne peut pas, à ce titre, la refuser. Il conclut par une demande de relaxe de M. Gorges et demande 3 500 € de dédommagement.
Le délibéré est prévu le 29 janvier 2021 à 13h30.